48

Le docteur toqua doucement à la porte d’Hélène Trémélio. Aucune réaction. Il recommença, un peu plus fort.

— Oui, entrez !

La vieille dame était assise dans son fauteuil, un livre entre les mains.

— Je vous dérange en pleine lecture…

— Je suis plongée dans les ouvrages que Mme Berzha préférait. Elle me les avait prêtés pour que je les découvre. Je ne pourrai malheureusement plus les lui rendre. Mais entre nous, autant nous nous entendions sur beaucoup de points, autant en matière de lecture…

Le docteur jeta un œil à la couverture et haussa un sourcil.

Mon patron, mon amour ?

— C’est affligeant. Je ne sais pas comment cette femme par ailleurs si distinguée pouvait s’intéresser à ce genre de romans. Pendant les dix premiers chapitres, ils se tournent autour à coups de jupe fendue, de chemise ouverte et de sous-entendus gros comme des veaux, mais j’en suis arrivée au moment où ils font des cochonneries partout. Dans leur bureau, en déplacement, dans les avions. Par moments, je suis tentée de retourner le livre pour vérifier si ce qu’ils font est à l’endroit ou à l’envers. Le fait est qu’ils ont la santé, mais je me demande quand est-ce qu’ils font leur travail…

Mme Trémélio remarqua soudain le paquet-cadeau que portait le docteur. Son regard se mit à pétiller, mais elle fit tout son possible pour ne pas manifester trop d’intérêt envers ce qui ne lui était peut-être pas destiné. Le médecin ne prolongea pas le suspense.

— Tenez, Hélène. C’est pour vous.

Soudain libre de réagir, la vieille dame se leva de son fauteuil et s’empara du paquet avec un sourire d’enfant.

— Comme c’est charmant ! Ce n’est pourtant pas mon anniversaire !

— Faites attention, c’est un peu lourd.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Avant de l’ouvrir, je veux que vous me fassiez une promesse.

— À quel sujet ?

— Je connais votre secret, Hélène.

Mme Trémélio eut un mouvement de recul. Le docteur l’invita à s’asseoir en lui tenant la main. Il se baissa pour être à sa hauteur et dit :

— Je comprends maintenant pourquoi vous aviez peur du chien. Mais rassurez-vous, tout se passera bien.

— Vous l’avez tué ? Il est mort ?

— Non. Mais il ne s’en prendra pas à vos petits protégés, j’en ai parlé à son maître, qui sera vigilant.

— Mes petits protégés ?

— Ouvrez votre paquet.

D’une main hésitante, Hélène décolla le ruban adhésif et écarta le papier. Lorsqu’elle identifia le sachet de croquettes géant, elle regarda le docteur sans savoir comment réagir. Il lui murmura :

— J’ai vu les adorables chatons qui vivent dans les buissons et leur maman qui vient vous rendre visite.

La vieille dame se renversa dans son fauteuil, apaisée.

— Je vous avais bien dit que vous étiez gentil.

— Vous n’avez plus besoin de vous cacher, Hélène, et surtout, je ne veux pas que vous vous priviez de manger pour nourrir cette chatte et ses petits. Comment s’appelle-t-elle, d’ailleurs ?

— Je l’ai baptisée Marie-Laure. C’était le prénom de ma meilleure amie lorsque j’étais jeune.

— Elle vous rend visite tous les soirs ?

— Cela n’a pas toujours été le cas. En arriver là a été une véritable aventure. J’ai mis des mois à l’apprivoiser. Je l’ai aperçue l’année dernière jouant parmi les fleurs. Sans doute sauvage, elle se méfiait de tout. Même pour la regarder, je devais me cacher. Je lui ai proposé du lait, du jambon, tout ce qui pouvait lui faire plaisir. Petit à petit, elle s’est approchée. Chaque jour, je savourais ses pas supplémentaires vers moi. Mais le directeur de l’époque ne voulait aucun animal dans la résidence. Il l’avait formellement interdit. Alors c’est en cachette que j’ai continué à la voir. Chacune des limites qu’elle a dépassées était pour moi une marque de confiance. Je ne voulais surtout pas la décevoir. À force de lui parler, de la nourrir, elle a fini par monter sur le rebord et par s’habituer à moi. Et puis l’hiver dernier, un matin que j’aérais, elle s’est aventurée à l’intérieur. J’y suis allée très progressivement car je savais que si je la brusquais, je risquais de ne plus jamais la revoir. Une fois, je suis restée immobile dans ce coin là-bas pendant trois heures alors qu’elle était étendue sur mon lit. Elle me regardait. Mais j’ai tenu ! À chaque jour sa petite victoire. Si vous saviez à quel point elle est devenue importante pour moi… Mes journées sont rythmées en fonction d’elle. Je sais pertinemment qu’au début, elle venait pour manger mais maintenant, elle passe même s’il n’y a rien. Je n’ai jamais présenté Marie-Laure à personne. Même Pauline ne le sait pas. C’est pour cela que l’autre jour, lorsque j’ai vu ce gros chien courir comme un bulldozer dehors, je me suis dit qu’il allait faire fuir ma petite fée.

— Ne vous en faites pas. On fera en sorte que tout se passe bien. Et promettez-moi de manger correctement.

— Venez un soir, et je vous la présenterai.

— Ce sera un honneur.

Загрузка...