PROLOGUE

D’une main tremblante, Abigaël Durnan sortit une Marlboro de son paquet et la planta entre ses lèvres. Le déclic provoqué par le briquet Zippo monopolisa son attention. Elle ne fumait pas, mais elle avait appris à voir, écouter, sentir comme nul autre, et cette fois encore, chaque détail de son environnement revêtait son importance.

Autour d’elle, le triage-lavoir abandonné brûlait. Les flammes rouges couraient comme des dizaines de diables le long des murs crasseux. Ils croquaient les poutres usées, jonglaient avec les braises, crachaient leurs rouleaux de fumée noirâtre. Plus aucun moyen de redescendre par l’escalier en feu ni aucune autre issue. Abigaël se retrouvait piégée ici, à plus de quinze mètres de haut au milieu de nulle part, et personne n’entendrait ses cris. Bientôt, elle brûlerait vive.

Elle s’attarda sur la forme de ces langues affamées, leur couleur, cette danse courbe et esthétique qu’elles esquissaient. Elles lui paraissaient si réelles, si vivantes, et tellement difficiles à simuler. Comment son esprit pourrait-il les avoir créées avec autant de précision ? Purement impossible.

Abigaël remonta la manche de son sweat et dévoila son avant-bras droit marqué de pointes d’aiguille et, surtout, de cinq cercles bruns. Des cratères retroussés, profonds, semblables à des pustules. Chacune de ces brûlures de cigarette l’avait guidée jusqu’à l’ultime rendez-vous, aidée à tracer son chemin, indice après indice, comme les cailloux blancs du Petit Poucet. Mais, contrairement au conte de Perrault, l’histoire risquait de mal se terminer.

Les réponses se cachaient entre ces murs, quelque part. Il fallait une dernière cicatrice afin d’en finir une fois pour toutes. Les morsures du feu dans sa chair étaient fiables, tout comme les curieux tatouages nichés les uns sous les autres à l’intérieur de sa cuisse droite, auxquels elle se raccrochait chaque fois qu’elle doutait.

Qui est Josh Heyman ?

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JH connaît intimement Léa et Arthur. Comment ?

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Une poutre s’effondra et provoqua le rire des diables. Le bois râlait, le bâtiment gémissait de part en part et ne tarderait pas à se recroqueviller sur elle, comme une main carbonisée. Il fallait en finir. Abigaël pompa fort sur le filtre et fit rougeoyer l’extrémité du tabac. L’approcha de son poignet et trouva une petite place, entre marques d’aiguille et brûlures précédentes.

Si la douleur était absente, alors rien de tout cela n’aurait jamais existé. Abigaël ne se serait pas levée ce matin-là en sang, avec la poitrine lacérée. Ni dans un lavoir en flammes, mais allongée sur son lit, lovée sous ses draps, plongée dans un rêve incroyablement élaboré. Côté positif des choses : elle ne flamberait pas comme une vulgaire poupée de chiffon.

Et dans le cas où la douleur se manifestait, Abigaël se tenait face à quelque chose d’impossible. Un paradoxe lié à son accident de voiture et aux sombres secrets que cachait son père.

Alors, lavoir en flammes, ou rêve d’un lavoir en flammes ?

Tandis que le feu agile s’exhibait autour d’elle, elle inspira, ferma les yeux et, comme elle l’avait déjà fait à cinq reprises ces derniers jours, écrasa le bout incandescent sur son bras.

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