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Abigaël fonça dans l’escalier. Soudain, sa tête partit à la renverse quand une main l’agrippa par les cheveux. L’Indien moustachu la plaqua au sol sans ménagement, lui écrasant la joue contre le carrelage.

— Si tu cries, je te tue.

Il se pencha vers elle et respira dans sa nuque, une lame brandie. Son haleine sentait le tabac froid. Zieman le rejoignit et le tira vers l’arrière.

— Doucement, l’ami. Faut pas l’abîmer, la petite.

En râlant, le moustachu prit une bouteille de vodka qui traînait sur la table basse et s’en enfila une gorgée, tandis que Zieman plantait l’écran d’un téléphone devant les yeux d’Abigaël. Dessus, le fameux code secret de son père, probablement photographié lors de leur visite.

— Tu vas m’expliquer ce que veut dire ce putain de code.

Abigaël resta sans réaction, la bouche ouverte, les yeux dans le vague. Zieman la souleva de terre, la secoua, avec l’impression de tenir une poupée de chiffon. Muscles en berne, membres disloqués. Il la relâcha, elle s’effondra, comme morte.

L’Indien la scruta en se grattant la tête.

— Il se passe quoi, là ?

— J’en sais rien, mais elle respire encore.

— Tu crois qu’elle le fait exprès ?

Zieman la retourna et fit passer plusieurs fois la lame du couteau devant ses yeux.

— On dirait pas. Peut-être qu’elle s’est évanouie les yeux ouverts. Au moins, elle va nous foutre la paix. Va chercher les affaires du vieux.

Il posa par terre la bouteille de vodka, descendit à la cave puis remonta avec les deux cartons d’Yves Durnan qu’il renversa.

— C’est tout ce qu’il y a.

— Épluche-moi ça.

Il se mit à fouiller parmi les vêtements, jeta un œil à la paperasse. Abigaël ne parvenait pas à bouger. Le nez aplati contre le carrelage, et un mal de chien à l’articulation de son poignet droit qu’elle écrasait de tout son poids. Zieman se pencha vers elle.

— Je sais pas ce qui t’arrive, mais je sais que tu m’entends. Ton père était un putain de retors. Trop intelligent pour être honnête, tu sais ça ? Tu devrais être morte à l’heure qu’il est. Mais c’est ton père qui s’est fracassé à ta place. Il s’en est bien tiré, cet enfoiré. Et toi aussi.

Piégée dans le cercueil de son corps, Abigaël n’y comprenait rien. Fracassé à sa place ?

Zieman la laissa en plan et grimpa à l’étage. Il revint avec le carnet d’analyse du code et le feuilleta avec attention.

— Elle n’y est pas arrivée. Tout ce qu’elle a trouvé, c’est en faisant appel à un putain de forum sur la cryptologie. Elle a noté les réponses des internautes. Par exemple, écoute ça : « Chère Abigaël, j’ai essayé divers algorithmes standard, plus ou moins compliqués, qui ne donnent rien d’encourageant. La substitution de chiffres par des lettres, avec différents degrés de complexité, n’offre guère plus de résultats. J’en suis désolé. Pierre-Yves Geoffroy. »

Il jeta le cahier, rageur.

— Des incompétents.

Il observa en détail les papiers de banque et finit par les balancer eux aussi d’un geste sec, furieux. Il s’en prit à son acolyte, qui avait le nez plongé dans une BD de XIII et buvait un coup.

— T’as rien d’autre à foutre que boire et lire ?

Le moustachu lui adressa un de ces sourires qui fendent le visage en deux. D’un calme glaçant, il referma la BD et sortit une cigarette de sa poche. Puis il se redressa doucement, hochant le menton au-dessus de l’épaule de son complice.

— Elle se tire, mec…

Abigaël se ruait dans l’escalier. Elle s’enferma à double tour dans la salle de bains et renversa l’armoire à pharmacie, à la recherche d’une arme de fortune. À quatre pattes, tout ce qu’elle trouva fut une paire de ciseaux à ongles. Dérisoire. Elle la serra dans son poing et se réfugia dans un coin à reculons. Les larmes coulaient sur ses joues.

Il y eut soudain des grincements dans l’escalier. Abigaël était au bord de la crise de nerfs, sa respiration saccadée. Ils allaient entrer et lui faire la peau. Peut-être la violer, la torturer. Puis ils l’égorgeraient avant d’accrocher sa tête au porte-serviettes.

Devant elle, la poignée se mit à tourner. Abigaël hurla.

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