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On such a winter’s day (California dreamin’)

On such a winter’s day

Abigaël bascula sur le côté et tâta le dessus de la commode, à demi consciente. Elle mit quelques secondes à sortir du sommeil et à se rendre compte qu’elle était dans un lit. Et cette musique… Elle allait se lever quand un bras passa au-dessus de son épaule et vint lui serrer la poitrine. Elle poussa un hurlement.

— Je te fais si peur que ça ?

Abigaël resta tétanisée dans son lit. La voix… L’odeur de la peau, imprégnée de tabac… Ça n’était pas possible. Pas lui. Pas Frédéric.

Il se serra contre elle, comme pour l’emprisonner.

— Tu as encore fait un cauchemar, on dirait. Tu es trempée.

Abigaël se mit à trembler. Non… Elle parvint à se glisser sur le côté et tomba lourdement. Sa tête lui tournait, les murs dansaient autour d’elle. Un mot résonna sous son crâne : Propydol. Elle se redressa illico et tituba jusqu’au salon. La porte d’entrée était verrouillée, la clé n’était nulle part. La vision trouble, Abigaël chercha sur le bureau, la table, les meubles, revint vers la porte et essaya de forcer.

— C’est ça que tu cherches ?

Lorsqu’elle se retourna, Frédéric se tenait à l’entrée du salon. Il agitait la clé du bout de ses doigts, tel un gardien de prison pervers.

— M’approche pas ! s’écria Abigaël.

Elle s’empara de la paire de ciseaux posée sur le bureau. Frédéric avançait au ralenti, les mains ouvertes devant lui en signe d’apaisement.

— Ne fais pas de bêtise, Abi, d’accord ? Tu pourrais te blesser. Tu n’es pas dans ton état normal.

Abigaël se trouvait acculée dans un coin, face à l’impossible. Frédéric était mort ! Elle jeta un œil vers son avant-bras gauche. Tout y était : les piqûres d’aiguille, les six brûlures de cigarette. Alors, elle souleva le bas de sa nuisette. Sur sa cuisse, un pansement récent. Dessous, un nouveau tatouage, le cinquième.

Tu as tout inventé

Elle se laissa choir contre le mur. Plus la force de se battre. Elle releva son regard triste vers Frédéric.

— C’est toi. C’est toi qui as fait faire ce tatouage sur mon corps.

Il s’orienta vers le meuble du salon.

— Non, Abigaël, c’est toi. C’est toi qui t’es rendu compte que rien de ce que tu avais imaginé n’existait. Tu t’es mise à raconter des choses bizarres, dénuées de sens. Que j’avais quelque chose à voir avec toute cette histoire. Que ta fille était vivante. Tu ne te rappelles vraiment plus ou tu fais semblant ?

Abigaël ne savait plus, ne comprenait plus. Où était le rêve ? La réalité ? Qu’est-ce qui était vrai ? Qu’est-ce qui était faux ? Frédéric ouvrit le tiroir.

— Tout va bien se passer, d’accord ? Je vais juste prendre mon téléphone. Tu es encore en pleine crise, je vais appeler les secours, ils vont te prendre en charge. Parce que tu risques de te faire mal avec cette paire de ciseaux.

— Comment tu as fait… Comment tu as réussi à t’en sortir ?

Il n’y avait plus rien dans la voix d’Abigaël. Que des sonorités mortes. En guise de téléphone, Frédéric s’empara de son pistolet et le braqua sur elle.

— Tu sais quoi ? Je ne suis pas en train de te parler en ce moment même. Non, non, je suis encore dans mon lit. En me réveillant, je vais me rendre compte que la place à mes côtés est vide. Alors, je vais venir ici et te retrouver morte, ces ciseaux enfoncés dans ton ventre. Tu te seras suicidée.

Il s’approcha, toujours avec son arme braquée, et arracha la paire de ciseaux des mains d’Abigaël. Puis il s’agenouilla. Ensuite, il écrasa les pointes de métal au niveau de son foie.

— Quand on est malin, on peut toujours s’en sortir.

Et il vrilla les lames dans sa chair jusqu’à la garde.

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