Il fait nuit, un peu froid. Debout devant la fenêtre qu'elle vient d'ouvrir, une femme prend une profonde inspiration et contemple la pleine lune qui brille au-dessus des toits hérissés d'antennes et de cheminées. Pas le moindre souffle de vent ne joue dans sa longue chevelure.
Savourant la quiétude du moment, elle écarte lentement les bras, telle une prêtresse antique s'adonnant à un rituel secret. Appel aux dieux ou sacrifice ? Ce même geste, accompli quelque temps plus tôt, aurait pu laisser craindre qu'elle saute dans le vide. Mais après ce qu'elle a surmonté, alors que s'esquisse enfin la promesse d'un futur, il a tout d'une ouverture au monde. Elle est désormais capable d'en capter les énergies dont elle a si longtemps été privée. Une renaissance.
Le panorama sombre et bleuté qui s'étend devant elle ressemble à sa propre existence : des ténèbres dont une aube nouvelle finira par triompher. En attendant, la soirée qui s'annonce va changer sa vie. Quoi qu'il advienne.
Elle se retourne et inspecte chaque détail de la table romantique dressée pour deux. La voilà qui allume la bougie, rectifie la position d'une fourchette et tire légèrement sur l'angle de la nappe pour lisser un pli. Tout doit être parfait. Évaluant le résultat, elle est tentée de sourire mais se ravise : elle ne s'autorise pas encore à croire que la chance lui a finalement donné rendez-vous. Attendre le bonheur chez soi ? Quelle drôle d'idée ! Comme s'il pouvait être livré à domicile… Pourtant, c'est bien lui qu'elle attend.
Elle traverse le salon en esquissant un pas de danse. Encore une aptitude oubliée qui ressurgit en elle. Il n'y a pas mieux que l'espoir pour réveiller les talents endormis. Devant la chaîne, elle passe en revue quelques albums, hésite à mettre de la musique, puis se ravise. Rien ne doit la distraire des mots qui vont s'échanger ce soir.
Un carillon déchire soudain le silence. On sonne à la porte de l'appartement. Prise de court, elle consulte sa montre. Il est en avance, mais qu'importe, l'essentiel est qu'il soit là. On ne reproche pas au bonheur d'avoir une demi-heure d'avance.
— Voilà, voilà, j'arrive !
En quelques enjambées aériennes, elle passe devant le miroir, retouche rapidement sa coiffure, ajuste son décolleté et tente de contrôler ses mouvements trop vifs qui trahissent son exaltation. Par la fenêtre toujours béante, la lune grésille.
Elle ouvre. Son sourire éclatant s'efface à la seconde où elle découvre l'homme qui se tient sur le pas de sa porte. Instinctivement, elle recule. Ce n'est pas du tout celui qu'elle attendait. C'est même le dernier qu'elle aurait voulu voir, et il entre sans se gêner.
— Tu es très belle, commente-t-il.
Puis il ajoute, goguenard :
— Si seulement tu avais fait autant d'efforts pour moi…
Face à cette muflerie qui ne la surprend pas, elle garde son calme et se borne à demander :
— Que veux-tu ?
— Je passais dans le quartier, j'ai eu envie de prendre de tes nouvelles, savoir comment tu allais.
— Ben voyons… Si seulement tu avais eu ce genre d'attention avant ! Tu veux plutôt vérifier que je déprime encore et que tu t'en sors mieux que moi. Tu vas être déçu…
— Toujours en colère ?
— Je suis passée à autre chose. Mais je n'oublie pas. Je répète ma question : que veux-tu ?
Il se permet de rire puis se fige en découvrant la table d'amoureux. Il émet alors un sifflement aussi admiratif qu'ironique.
— Dis donc, tu sors le grand jeu ! Un rendez-vous galant… J'aurais dû m'en douter, mignonne comme tu es…
— J'étais aussi « mignonne » lorsque tu passais ton temps à me tromper.
— Tout le monde fait des erreurs.
— Pas tous les mardis, à heure fixe, pendant plus de trois ans. Et moi, pauvre innocente, qui te souhaitais bon courage pour tes dîners soi-disant professionnels…
Au plus profond de son être, la colère s'insinue, exactement là où elle avait fait de la place pour accueillir le plaisir. Certaines personnes sont de véritables polluants, capables d'empoisonner le plus pur des paradis. Elle vérifie l'heure. L'homme qu'elle espère ne devrait plus tarder, et celui qui l'a tellement fait souffrir ne doit en aucun cas gâcher ce moment-là. Il ne l'a que trop fait.
— Comme tu l'as si finement remarqué, dit-elle, j'attends quelqu'un. Merci de ta visite mais, la prochaine fois, appelle avant de débarquer.
— Je ne suis plus le bienvenu ?
Elle tend la main et déplace un bibelot qui n'en a pas besoin — prétexte pour éviter son regard — et lance :
— Non, tu n'as plus rien à faire chez moi. Et si tu ne comprends pas pourquoi, c'est ton problème. J'en ai fini avec toi.
— Tu n'es plus la fragile et tendre demoiselle qui avait besoin qu'on la protège…
— Celle-là a terminé sa formation. Formation assez coûteuse, soit dit en passant. Trouve-toi une autre stagiaire.
— Tu as donc tout oublié ?
— Je ne garde pas les souvenirs qui font mal…
— C'est tout ce que je suis pour toi, un mauvais souvenir ?
La lune grésille à nouveau. Cette fois, la femme ne se détourne pas. Elle est au pied du mur. Plus question de baisser les yeux ou de refuser l'obstacle. Il est temps d'affronter.
Tendue mais décidée, elle se lance dans une tirade qui ne laisse à son ancien compagnon aucune chance de répondre. Le ton est posé, mais chaque mot est martelé. Ce réquisitoire, elle l'a construit pendant d'innombrables insomnies, mûri au long d'interminables solitudes, peaufiné au fil des épreuves endurées. Ses larmes sont devenues l'encre d'un acte de justice qu'elle s'autorise enfin. Implacablement, elle égrène les moments honteux de ces années durant lesquelles il jouait double jeu alors qu'elle lui donnait tout. Voilà si longtemps qu'elle attendait de lui servir ses quatre vérités.
Elle n'était pas la seule à être impatiente de ce moment : le public aussi n'aspirait qu'à cela depuis près d'une heure, suspendu à ses lèvres et emporté par les péripéties de sa vie dans laquelle chacun plongeait sans pudeur. Dans la salle, alors qu'elle vide son sac, les spectateurs jubilent. Devant eux, ce n'est plus une renaissance qui se joue, mais une résurrection. Celle qui a tant subi se redresse. Après avoir été scandaleusement manipulée, elle prend enfin son destin en main.
Il tente de répondre mais ni son ex, ni l'auditoire ne tolèrent plus ses raisonnements fumeux. Plus personne ne supporte sa mauvaise foi désormais révélée au grand jour. Il est cerné, côté cour et côté jardin. Chaque fois qu'il se permet de prendre les spectateurs à témoin, une rumeur d'indignation parcourt la salle. Tout le monde voit clair dans son jeu. Même si la première concernée a été la dernière à comprendre, comme souvent dans la vie, elle ne craint plus de le juger. Elle n'a plus peur. Elle avance ses arguments comme autant de charges, avec une conviction si forte qu'il est physiquement obligé de reculer dans l'angle du décor. Sur la scène, le combat déloyal des premiers actes est oublié, et l'on se régale des escarmouches précédant la mise à mort du méchant. Après la douleur, la revanche. Après l'écrasement, l'envol. Tout va rentrer dans l'ordre. Justice idéale d'un monde parfaitement écrit où nos espoirs déçus peuvent reprendre vie.
Eugénie connaît la pièce par cœur. Elle assiste à chacune des représentations depuis que Cœur à retardement est programmé, voilà bientôt trois semaines. Comme chaque soir, elle a pris place en hauteur, sur le côté, dans une loge que personne ne réserve jamais parce que la vue est loin d'y être bonne. Elle ne s'installe pas là par hasard. De sa niche douillette, protégée par la pénombre, elle voit peut-être la scène en biais et les comédiens se soustraient à sa vue sur un quart du plateau, mais elle bénéficie par contre d'une vue plongeante sur le parterre, ce qui lui permet d'observer les spectateurs. Son champ de vision embrasse les deux univers, celui de la vie et celui de la comédie. De là, elle aperçoit même Karim, le pompier de service, qui, depuis les coulisses, assiste lui aussi à la représentation. Il est tellement absorbé par ce qui se joue qu'il ne remarquerait même pas un début d'incendie s'il se déclarait à ses pieds. Quand c'est émouvant, il essuie discrètement une larme en prenant soin de vérifier que personne ne l'a aperçu. Lorsque c'est amusant, il s'esclaffe avec le public. Eugénie le trouve touchant. Parfois, elle entrevoit aussi les machinistes qui se mettent en place avant les changements de tableaux. Il faudra vraiment que les électros vérifient le branchement de cette satanée lune qui n'arrête pas de grésiller. Un soir, elle explosera au beau milieu du spectacle.
Top régie. La sonnerie de l'appartement résonne une nouvelle fois. Le public retient son souffle. Pourtant, personne n'a de doute sur l'identité de celui qui s'annonce, et tout le monde l'attend avec gourmandise. La porte s'ouvre sur une exclamation de la salle. L'arrivée est si vive qu'elle fait onduler tout le fond du décor.
Comme espéré, c'est bien le bonheur qui entre. Il dépose un bouquet de roses rouges aux pieds de celle qui, désormais, rayonne. Lorsque le sympathique prétendant aperçoit l'infâme ex, il ne se démonte pas. L'homérique combat des mâles pour les yeux de la belle commence. Les codes sont respectés, la mise en scène est simple mais réglée au cordeau, les comédiens se déplacent selon un ballet parfaitement maîtrisé. Les piques rythment l'affrontement, les répliques s'échangent comme des coups de poing ou des tirs de snipers. Celui qui aime d'un amour sincère enchaîne les réflexions qui déclenchent des cascades de rires dans les rangs. « On dit que l'amour est aveugle, mais quand j'entends votre voix perfide, je suppose qu'il doit aussi être sourd » ; « Ne bougez plus, vous êtes parfait ! Sous cet angle, vous pourriez jouer le traître dans n'importe quelle mauvaise série… »
Eugénie connaît chaque mot des dialogues et ne les trouve pas drôles. Elle sait aussi l'histoire qui se joue derrière le masque des personnages… Sous les traits de la « femme bafouée » et de son « ancien amour », se livre également une petite guerre entre deux comédiens de seconde zone, Natacha et Maximilien. Tous deux, en mal de reconnaissance, essaient de se chiper les scènes à coups de surenchère. L'un et l'autre sont convaincus d'être le meilleur, génie injustement sous-estimé que son médiocre partenaire empêche de s'élever jusqu'à son firmament. Chacun se considère comme le souverain naturel dont ce modeste théâtre serait le royaume. Ils ne sont jamais meilleurs que lorsqu'ils doivent se haïr… Ces pathétiques luttes d'ego fatiguent toute l'équipe, mais elles offrent aussi une savoureuse seconde lecture à la représentation. Chaque soir le même texte, mais chaque soir une nouvelle passe d'armes pour qui sait l'entrevoir.
Glissant tout au bord de son siège, Eugénie s'avance pour étudier la salle. Elle pose le menton sur ses mains croisées au-dessus des moulures dorées du balcon. Ainsi installée, elle sort partiellement de la pénombre. En embuscade, son profil baigné par la chaude lueur de la scène, elle semble fomenter un complot. De son perchoir, à l'affût, elle peut en toute impunité scruter l'assistance qui regarde ailleurs.
Étonnant parterre, fascinante assemblée renouvelée au gré des jours. Éphémère réunion d'individus qui n'ont rien en commun mais qui, pour quelques heures, partagent le cours d'une même histoire. Toutes les générations, tous les milieux, hommes, femmes, familles, célibataires, couples, copines venues se changer les idées. Eugénie les détaille au hasard. Elle identifie ceux qui se sont habillés pour être élégants ou pour se faire remarquer. Elle reconnaît ceux qui viennent régulièrement quel que soit le spectacle, comme Marcelle et Jean, le petit couple de retraités, et ceux qui choisissent un événement précis. Chacun réagit à sa manière. Elle en voit qui se recroquevillent sur eux-mêmes pour ne pas gêner leurs voisins. Elle repère ceux qui vivent littéralement la pièce et dont le corps réagit à chaque rebondissement, alors que d'autres intériorisent. Certains — surtout certaines — passent aussi beaucoup de temps à vérifier l'effet produit par les répliques sur leur voisin… Tous ont les yeux qui brillent. Pourquoi ces gens si différents sont-ils là ce soir ? Quel écho ce vaudeville trouve-t-il en eux ? Avec quelle part des personnages ou d'eux-mêmes ont-ils rendez-vous ? Pourquoi ces humanités se retrouvent-elles en communion devant cette pantomime de l'existence ?
Cette question intéresse Eugénie bien plus que la pièce elle-même. Elle se la pose d'ailleurs à chaque nouveau spectacle. Quelle force d'attraction faut-il pour inciter tous ces chemins à venir se croiser ici, sous les ors, au creux des velours rouges, assis les uns à côté des autres devant ces fables ?
À force d'y réfléchir, Eugénie a peut-être trouvé la réponse. C'est cette réponse qui lui a donné envie de postuler pour l'emploi de gardienne dans ce théâtre. Cette réponse qui tous les soirs la pousse à venir inlassablement voir et revoir.
Comme eux, elle est là pour éprouver des sentiments. Elle est là pour sentir son cœur battre. Pour voir la vie telle qu'on la rêve et non telle qu'on la vit.
Ce théâtre est un véritable tube à essais. Chaque spectacle est une expérience unique mettant en contact un principe actif émotionnel avec des cellules vivantes. Certaines virent au rouge, d'autres blêmissent ou tremblent, mais rares sont celles qui sont immunisées.
Rire, frémir, croire, se réjouir ou se révolter en contemplant les parcours mouvementés que d'autres affrontent. Pouvoir s'impliquer sans courir le moindre risque. Vivre d'autres vies en restant confortablement assis. Jusqu'à oublier sa propre existence.
Chaque soir, comme une espionne en planque au-dessus de ces gens assoiffés d'émotions, Eugénie se demande où sont passées les siennes. Où sont ses élans, ses rêves et ses espoirs ? Qu'est devenue l'énergie qui, pendant si longtemps, lui a permis d'avancer sans jamais douter ? Son moteur tousse-t-il avant de caler ?
Elle estime pourtant ne pas avoir le droit de se plaindre. Elle est en bonne santé, elle a obtenu le poste qu'elle convoitait et ne manque de rien. Comparée à beaucoup, elle a de la chance. Cela suffit-il pour être heureux ? La vie est plus complexe que cela.
Le fait que ses parents soient récemment disparus ou que ses enfants s'éloignent pour faire leur vie ne rentre pas dans la liste de ce qui est communément reconnu comme des catastrophes. Cela ne tire de larmes à personne. C'est la vie et tout le monde y passe un jour ou l'autre. Pourtant, qu'est-ce que ça fait mal…
Eugénie n'a plus personne devant et plus grand-monde derrière. Ça change votre vision des choses. Malgré cela, ce genre de fissure intime ou de remise en cause n'est presque jamais choisi pour devenir le sujet d'une pièce ou d'un film. On n'en parle pas à ceux qui y passeront, et on n'écoute pas ceux qui l'ont traversé. Pas vendeur, pas glamour. Alors chacun gère comme il peut au moment où il y est confronté, en gardant pour lui les blessures qui résultent de ces combats parfois violents mais toujours silencieux.
Eugénie n'est plus vraiment jeune et pas encore tout à fait vieille. Qu'est-ce qu'on fait quand on en est là ? À qui peut-on poser les questions ? À qui peut-on seulement confier ses doutes ? Elle flotte entre deux clichés, au cœur de la zone grise dont personne ne dit jamais rien. Son énergie y est enlisée. Perdue à force de choix qui ne changent pas grand-chose. Enfouie sous les années vécues auprès d'un mari adorable à qui elle ne peut rien reprocher, mais qui semble désormais aussi fatigué qu'elle.
Venir ici, dans ce temple du sentiment, vibrer au milieu de ses semblables grâce à d'éternels artifices, permet de s'extraire du quotidien. Pour quelques heures au moins. Peu importe si tout ce qui se déroule sur scène n'est pas vrai. Personne n'est dupe, mais à trop savoir, on finit par avoir besoin d'inventer.
L'ex n'en a plus pour longtemps. Le bonheur va gagner. Tout ira pour le mieux, c'est compris dans le prix du billet. Cela ne change rien pour la gardienne du lieu. Plongée dans son introspection, Eugénie ne suit même plus le déroulement de la pièce. Elle court devant la roue du temps qui la pourchasse et ne va pas tarder à l'écraser. Elle se sent impuissante face à un monde qui lui correspond si peu et qu'elle est convaincue de ne pas pouvoir changer. Au théâtre, les drames et les rédemptions se jouent tous les jours sauf le lundi, mais, dans la vraie vie, les angoisses existentielles ne font jamais relâche.
Dans quelques minutes, les acteurs qui se sont déchirés et haïs avec tant de conviction viendront saluer ensemble, tout sourire, main dans la main — si la lune n'a pas pris feu d'ici là. Karim les applaudira avec enthousiasme, comme toute la salle qui finira par se lever. Une fois le rideau tombé, chacun repartira chez soi, vers sa réalité. Quel horrible mot !
Eugénie ne quittera pas le théâtre. Elle fera sa ronde de sécurité avec Victor, son mari. Ils éteindront les lumières oubliées dans les loges désertes, vérifieront que l'entrée des artistes est bien cadenassée, puis iront se coucher. Elle fermera les yeux, en priant pour que la vie soit clémente avec son fils Eliott et sa fille Noémie. Elle suppliera qu'un dieu les protège, puisqu'elle-même n'en a plus le pouvoir. Comme chaque nuit, éveillée alors que Victor ronfle, elle se demandera ce qu'elle peut encore faire, elle si fragile bien que s'étant souvent battue pour les autres, alors qu'elle n'est plus une tendre demoiselle. Aujourd'hui, consciente d'être minuscule dans un monde tiède, elle ne voit plus d'horizon vers lequel courir.
L'aube finira par venir sans triompher de rien et Eugénie vivra un autre cycle, comme si chaque jour était une vie, de son réveil dans ce grand théâtre vide jusqu'à ce que les lumières s'allument les unes après les autres, du fronton à la salle, pour que le public, les comédiens, l'équipe, et avec eux la vie reprennent enfin possession du lieu.
Finalement, sa seule joie est d'être utile à cet endroit, ce fabuleux amplificateur de sentiments qu'elle vénère depuis sa plus tendre enfance. Elle a déjà hâte de retrouver Céline qui lui dira encore à quel point il est difficile d'élever son ado toute seule. Elle se nourrira aussi de l'énergie débordante de Juliette, qui entre deux chorégraphies, lui parlera du coach sportif qui hante ses journées et surtout ses nuits. Et tout recommencera, crescendo, de plus en plus vite, de plus en plus fort, jusqu'au bouquet final qui marque le point d'orgue pour lequel cet endroit étrange existe. Alors, pendant quelques instants fugaces et précieux, les murs trembleront grâce aux gens debout, qui hurleront en frappant dans leurs mains parce qu'ils y ont cru. Puis reviendront la nuit et le silence.
Eugénie déprime parce qu'elle est convaincue qu'elle n'a plus rien de beau à attendre de l'existence. Le meilleur est passé. Il ne lui reste qu'à se souvenir, à regretter, et à voir cette chienne de vie lui arracher ceux qu'elle aime si fort. Eugénie pense savoir de quoi seront désormais faits ses jours.
Mais les coups de théâtre n'arrivent pas seulement sur la scène. Et si la lune prenait feu, pendant le spectacle ou dans le ciel ? Ceux qui ont survécu avant elle le savent : quand on tombe de haut, on a le temps d'apprendre à voler.