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Dans la soupente, entre les empilements de vieilles caisses poussiéreuses, des projecteurs sur pied ont été installés. Une petite partie de l'équipe s'affaire à passer les malles au peigne fin. Combinaison verdâtre et masque antipoussière pour tout le monde. Avec leurs gestes lents dans une lumière crue et un silence studieux, ceux qui fouillent ressemblent aux chercheurs d'un film de science-fiction tentant d'isoler une substance extraterrestre au fond de l'océan.

Dans le labyrinthe d'amoncellements, Olivier se faufile en portant un coffret de bois à bout de bras comme s'il s'agissait d'une bombe. Il fait signe à Victor de le rejoindre et appelle :

— Annie, Chantal ! Venez voir…

La coiffeuse et l'habilleuse abandonnent leur tri et viennent vers le machiniste.

— Tu as trouvé les bijoux ? demande Annie.

— À vous de me dire.

Connaissant l'énergumène, les deux femmes se méfient un peu, mais elles ont trop envie de savoir ce que contient le coffret.

Délicatement, Olivier pose la main sur le couvercle… qu'il ouvre d'un geste brusque.

Les femmes hurlent exactement au même instant, mais pas pour la même raison. Dans la boîte, côte à côte, une grosse araignée morte, ses pattes velues repliées, et une souris parcheminée qui a perdu ses poils.

Annie et Chantal s'enfuient en criant, l'une en se frictionnant la tête pour se débarrasser de ce qui n'est pas sur elle, et l'autre en jurant.

— Bravo mon pote, commente Victor laconiquement. Cette fois, tu as fait fort. On a mis deux plombes à les convaincre de nous aider en priant qu'elles ne tombent pas sur les bestioles qui les épouvantent, et toi, tu les leur livres en boîte cadeau…

Comme un enfant qui vient de faire exploser son premier feu d'artifice, Olivier est encore rêveur, entre fascination et prise de conscience d'un pouvoir dont il ignorait tout jusque-là.

— Waouh… Deux hurlements simultanés, mais pour des phobies différentes. Tu te rends compte ? C'est peut-être un record du monde…

— Formidable. Ne t'avise pas d'essayer de rééditer l'exploit avec Eugénie et moi. De toute façon, tu n'arriveras jamais à faire entrer un clown et un cochon sauvage dans ta boîte moisie.

— Un cochon sauvage ?

— Eugénie s'est fait charger par un spécimen quand elle était toute petite, lors d'une balade en forêt. Oublie immédiatement cette info.

— Tu as donc peur des clowns ?

Olivier a l'œil qui brille, mais la colère d'Annie et Chantal évite à Victor d'avoir à argumenter. Elles reviennent s'en prendre au machiniste. Dans le flot furieux de paroles qu'elles déversent, « pauvre malade ! » est l'expression qui revient le plus souvent, avec « poils » — sans qu'il soit possible de préciser s'il est question de ceux que l'araignée possède encore en grand nombre ou de ceux que la souris n'a plus.

Olivier s'excuse, mais il est évident qu'il ne regrette rien. Alertée par les cris et les éclats de voix, Eugénie rapplique, bientôt suivie par M. Marchenod.

— Franchement, les garçons, vous trouvez ça malin ?

Elle réconforte les deux victimes. Victor se défend :

— Je n'y suis pour rien !

En apercevant le coffret, le propriétaire demande :

— Vous avez trouvé quelque chose ?

Tête basse, Olivier répond :

— Non monsieur, rien d'important, malheureusement.

Il ouvre la boîte pour prouver qu'il dit vrai, et aussitôt les deux femmes se remettent à hurler.

Monsieur Marchenod est déçu. L'espace d'un instant, il a espéré que les bijoux avaient été trouvés et que les cris étaient des manifestations de joie. Alors que Chantal et Annie reprennent leur calme, il leur demande :

— Qu'ont donné vos caisses ?

Il ne recueille que des mines dépitées et des hochements de tête négatifs.

— On a déniché quelques babioles, explique Eugénie, j'ai dégoté un registre sur les entrées du tout début du siècle et un recueil de critiques des différents spectacles qui peuvent être intéressants, mais rien de précieux.

— Avec tout ce qui est entassé ici, note Victor, on pourrait monter un musée ou une belle exposition, mais pour le moment, rien qui puisse nous remettre en selle.

— Voici donc venu le bout de la route, mes amis, parce qu'il ne reste plus qu'une seule caisse à ouvrir.

Il désigne un recoin, au loin.

— Elle attend là-bas depuis des générations. Pas très grosse en plus. La 458e

— Tout n'est pas perdu, la dernière chance peut être la bonne ! argumente Annie.

— Vous avez raison, mais elle est mince. Quoi qu'il en soit, je vous remercie de m'avoir aidé à terminer. Voilà une bonne chose de faite. Grâce à ces derniers jours en votre compagnie, cet inventaire restera un bon souvenir. Si vous avez fini de vous faire peur avec des animaux crevés et que vos caisses sont triées, je vous propose d'aller ouvrir la dernière tous ensemble. Qu'en pensez-vous ?

La petite assemblée approuve. Thibaud Marchenod prend la tête de l'escouade. Sa démarche traînante le fait ressembler à un condamné qui avance vers sa potence. Derrière lui, la bande suit sans rien dire. En parcourant l'étendue du bric-à-brac, tous mesurent le poids de l'histoire et des espoirs que chaque malle a dû représenter pour lui.

Le propriétaire arrive devant l'ultime caisse. Chacun l'évalue à sa façon, entre résignation et recueillement. Olivier veut encore y croire :

— Vous savez, j'ai connu des parties de cartes où le type qui jouait sa vie a ramassé les quatre as lors du dernier tour.

— Votre optimisme me touche, mais on a vu bien plus de parties perdues que gagnées sur des coups de théâtre.

Victor aide Thibaud à déclouer le couvercle. Ils se penchent au-dessus du contenu. Une fois de plus, ils découvrent cette accumulation de formes irrégulières empaquetées dans des linges ou du papier jauni par le temps. Tous imaginent, certains espèrent. Annie entrevoit déjà un sac rempli de pierres précieuses scintillant dans la lumière blanche des projecteurs. Chantal a peur de trouver des rats tout secs piégés là depuis des décennies. Eugénie, elle, ne s'intéresse pas à cette caisse dont l'importance symbolique est pourtant si forte. Elle observe les visages de ceux qui la scrutent. Leurs différentes émotions sont à ses yeux le seul vrai trésor.

M. Marchenod plonge la main à l'intérieur. Il en extrait trois petits carnets, qu'il feuillette sans enthousiasme. Victor pioche à son tour et déballe un chandelier terni. Annie saisit une vieille boîte de plumes Sergent-Major. Chantal découvre deux figurines de porcelaine. Olivier s'avance. Il évalue le contenu et tente de jauger.

— On ne choisit pas ! lance Victor. Tu prends au hasard.

Le machino tend la main et en ressort un coffre métallique assez lourd pour être bien plein. Un sourire enfantin se dessine sur son visage. Il n'ose pas le secouer. Le couvercle est verrouillé. Tous les regards sont braqués sur lui.

— Quelqu'un a un couteau ?

Victor répond :

— J'ai trouvé une baïonnette tout à l'heure. Vous permettez, monsieur Marchenod ?

— Faites, faites !

Même le propriétaire semble tout à coup pressé de savoir. Victor revient vite et tend la lame à son comparse, qui réussit à forcer le fermoir.

Le coffret ne contient rien d'autre que des trousseaux de clefs rouillées de toutes tailles. Chacun s'efforce de digérer sa déception.

La caisse est désormais presque vide. Thibaud Marchenod interpelle la gardienne :

— Eugénie, à votre tour. Peut-être nous porterez-vous chance…

Elle plonge sa main. Ses doigts identifient un volume rectangulaire, solide. Elle songe d'abord à une autre boîte emballée dans un linge. Elle sort l'objet et le déballe, mais il ne s'agit que d'un vieux livre compilant des classiques du théâtre annotés.

Monsieur Marchenod soupire et pose un regard circulaire sur les combles. Bien que rempli à ras bord, l'endroit est vide de ce qu'il espérait y trouver. La dernière caisse a livré ses secrets. Aucun trésor ne viendra sauver son théâtre.

Pour le réconforter, Victor lui pose la main sur l'épaule.

— Vous avez eu raison d'essayer, Thibaud. Ne vous en faites pas. La vraie richesse de ce lieu, ce ne sont pas ces bijoux, mais ceux qui y vivent.

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