— Vous allez me renvoyer ?
— Pourquoi ferais-je cela ? Par contre, je vous demande de ne rien dire à personne. Ce sera notre secret. J'aurais aimé vous épargner d'avoir à le partager étant donné tout ce qui repose déjà sur vos épaules, mais vous ne me laissez pas le choix.
— On pourrait considérer que je n'ai rien vu…
— Si vous ne m'aviez pas suivi, tout aurait été effectivement plus simple. Mais nous n'en sommes plus là.
— C'est vous qui étiez caché derrière les caisses la nuit où je suis montée ?
— Le nier serait mentir.
— Vous avez failli me faire mourir de trouille.
— Quand vous avez fui, vous avez fait un tel vacarme que j'ai cru que vous étiez tombée dans l'escalier.
— Je vous ai pris pour un monstre et j'étais convaincue que vous me pourchassiez. Mettez-vous à ma place…
— Je n'en menais pas large non plus. Vous redoutiez d'être attrapée et je craignais d'être découvert. Lorsque je suis revenu les jours suivants, j'ai pris garde de faire moins de bruit, mais cela me ralentissait terriblement…
— La combinaison, c'est pour protéger votre costume ?
— Sans elle, je réapparaîtrais à la fin des représentations couvert de poussière et de toiles d'araignées.
— Si je vous demande ce que vous cherchez dans ces caisses, serez-vous obligé de m'éliminer ?
— Ma pauvre Eugénie, nous sommes dans un théâtre, mais quand même… Ne soyons pas si dramatiques. Vous êtes bien placée pour le savoir : la réalité des événements et la perception que l'on peut en avoir sont souvent bien éloignées.
— Que cherchez-vous ?
— De quoi sauver ce vieux bâtiment. Tel que vous me voyez, je suis un chasseur de trésor. Vous le savez sans doute, mon arrière-arrière-grand-père avait offert de nombreux bijoux à celle pour qui il a bâti cette salle.
— Les célèbres parures de Violette Marchenod ?
— Elles étaient très réputées. À l'époque, La Gazette mondaine leur avait même consacré un reportage en les comparant aux joyaux d'une reine.
— Il est donc vrai qu'après la disparition de Violette, personne ne les a jamais retrouvées…
— C'est exact.
— Alors, mon mari ne raconte pas n'importe quoi lorsqu'il le précise chaque fois qu'il fait visiter le théâtre… Il s'amuse aussi à faire croire que le fantôme de votre aïeule hante les lieux.
— Enfants, nous en étions tous convaincus. Mais de façon plus réaliste, il y a une chance pour que ses bijoux soient cachés quelque part dans tout ce fatras.
Il désigne les combles remplis à ras bord. Eugénie prend la mesure de la tâche.
— Des centaines de malles et de caisses à passer au crible… fait-elle, songeuse.
— 458 pour être exact. Voilà deux ans, lorsque j'ai su que la ville risquait de ne plus nous subventionner, l'idée de chercher m'est venue. Je n'avais que cette solution pour avoir l'impression d'agir. Je suis le dernier d'une lignée qui n'a fait que piocher dans la fortune accumulée par Fernand. Toutes les générations n'ont eu qu'à vendre — ou à brader — des pans du patrimoine familial pour maintenir leur niveau de vie et le lustre de notre nom. Pas moi. En prenant les rênes, j'ai découvert que les caisses étaient vides. La ruine en héritage. Je ne suis même plus le patron dans les rares filatures qui portent encore notre nom… Alors je me suis accroché à l'espoir de retrouver le dernier magot familial. Comme un enfant naïf qui creuse dans son jardin en espérant mettre au jour un coffre de pirate rempli d'or. Ma démarche peut paraître fantaisiste, mais elle m'offrait l'illusion de tenter quelque chose. Parfois, je n'y croyais plus et d'autres fois, des papiers ou des souvenirs de l'époque me laissaient supposer que j'étais sur la bonne voie.
« Au début, je venais une fois par mois. Puis, le risque de fermeture augmentant, je suis venu plus souvent. Lorsque vous avez posé ce verrou supplémentaire sur l'entrée des artistes, je n'ai plus été en mesure d'entrer en secret. Alors je profite de chaque représentation pour continuer mon travail de fouille archéologique. Mineur d'archives…
— Combien de caisses vous reste-t-il à vérifier ?
— 174. Les chances s'amenuisent, mais je compte aller jusqu'au bout.
— Vous n'avez rien trouvé ?
— Si, des lettres déchirantes, des documents passionnants, quelques photos incroyables, mais rien qui puisse nous sauver.
— Lorsque devant la troupe, vous avez dit que notre combat était le vôtre, étiez-vous sincère ?
— Bien sûr. Que croyez-vous ? Que je me traîne au milieu des crottes de souris pour ma propre gloire ? Je sais pertinemment que je ne restaurerai jamais notre puissance industrielle, mais ce théâtre est le témoin le plus émouvant de ce qu'a été notre famille. J'aimerais qu'il me survive. Vous n'imaginez pas ce que ces fouilles m'ont posé comme problèmes. Ma femme a même failli demander le divorce ! Elle était convaincue que lors de mes virées nocturnes, je partais retrouver une maîtresse…
— Monsieur Marchenod…
— Thibaud.
— Pourquoi voulez-vous garder votre recherche secrète ?
— Que diraient les gens ?
— Les gens en général, je ne sais pas. Mais je sais ce dont sont capables certains de notre équipe. Faites-leur confiance.