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— Cette fois, mon père, je vous promets de ne rien vous cacher.

— C'est, en principe, la raison d'être d'une confession.

— J'espère que vous ne m'en voudrez pas…

— Souvenez-vous que je ne suis pas ici pour vous juger. Vous semblez avoir à nouveau le sentiment d'avoir commis une faute…

— Je suis allée rendre visite à mon ex-mari avec une vache et un cheval pour qu'il me verse ma pension.

— Une vache et un cheval ?

— Des amis qui portaient des masques pour ne pas être identifiés. Mais les choses se sont emballées et il s'est violemment assommé contre un mur.

— Pas étonnant que le cheval se soit emballé ! plaisante le prêtre.

— Que vous ne me jugiez pas, ça m'arrange, mais essayez au moins de me prendre au sérieux.

— Désolé, poursuivez.

— Donc mon ex s'est assommé et il a perdu la mémoire.

— Alors vous n'avez pas récupéré votre argent ?

— Exactement. Du coup, comme il est à l'hôpital, amnésique, une très bonne amie à moi — la vache — a eu l'idée de lui raconter n'importe quoi pour lui soutirer une partie de la petite fortune qu'il planque.

— Votre amie devrait peut-être venir se confesser, elle aussi…

— C'est certain, bien que dans son cas, un exorcisme me paraisse plus indiqué. De toute façon, au point où nous en sommes, Dieu ne peut plus rien pour elle. Donc, en attendant d'aller brûler en enfer, nous nous relayons auprès du père de mon fils pour le manipuler et découvrir où il cache son magot.

Le curé ne répond pas immédiatement.

— Vous êtes là ? s'inquiète Céline. Vous avez démissionné ? Ma vie pourrie a-t-elle eu raison de votre foi ?

— Laissez-moi le temps de digérer votre histoire, elle n'est pas banale. Effectivement, cette fois, c'est bien un péché que vous avez commis.

— Ce n'est pas fini. J'ai aussi largué mon amant, un homme marié avec lequel j'entretenais une misérable liaison depuis trois ans en espérant qu'il quitte sa femme…

Le prêtre reste silencieux. Céline précise :

— Pour être certaine qu'il ne me fasse pas d'ennuis — j'en ai assez avec l'autre —, mes amies ont pris des photos compromettantes que je menace d'envoyer à ses proches.

— C'est la vache qui a fait les photos…

— Le cheval, mais c'est sans importance.

Silence dans le confessionnal. Elle entend un soupir.

— Vous êtes déçu ? demande Céline. Vous vous dites que je ne suis pas une femme aussi bien que vous le pensiez ?

— Disons que ça fait beaucoup. Mais qu'importe, vous êtes la brebis égarée que Dieu place sur ma route.

— On a déjà la vache et le cheval, avec la brebis, on a presque la crèche complète !

— Plusieurs de mes coreligionnaires sont devenus fous après avoir reçu certaines confessions. Je me demande si elles n'étaient pas de cette nature… Sinon, Ulysse va bien ?

— J'arrive à le préserver de tout cela, c'est mon seul motif de satisfaction. Parce que pour le reste, je crois que je peux finir derrière les barreaux.

— Ceci dit, techniquement, je pense qu'aucun jury ne retiendra l'association délictueuse avec un équidé et un bovin.

— J'ai vraiment peur, mon père. Un inspecteur me soupçonne déjà. Il ne me lâchera pas.

— Les prières ne peuvent rien contre les investigations de police, et à ma connaissance, il n'existe aucun saint patron pour votre cause. Sainte Rita, peut-être…

— C'est la patronne de ceux qui profitent des amnésies ? Ou de ceux qui complotent avec des animaux ? À moins que ce ne soit celle des créatures lubriques qui attentent aux liens sacrés du mariage ?

— Ni l'un ni l'autre. Elle est spécialiste des causes perdues…

— Merci bien. Ça fait drôlement plaisir d'être dans l'équipe des vainqueurs ! J'ai une question à vous poser…

— Je vous en prie.

— L'Église accorde-t-elle toujours l'asile à ceux qui sont pourchassés par la justice ?

— Depuis des millénaires, chaque maison de Dieu constitue un sanctuaire où ceux qui le désirent peuvent trouver refuge pour se placer sous la protection du Très-Haut sans craindre le jugement des hommes.

— Je pourrais donc emménager ici ?

— Pardon ?

— Si un matin je débarque avec mon baluchon et que je tambourine à votre porte en hurlant : « Asile, asile ! », m'ouvrirez-vous ?

— Sans hésiter. Mais vous ne pourrez pas séjourner ici éternellement.

— Pourquoi pas ? Je pourrais me rendre utile, vous aider. Je cuisine plutôt bien. Vous aimez les pâtes au pesto ? C'est une de mes spécialités. Je suis aussi capable d'accomplir de menus travaux. En plus, je suis bonne couturière, et je vous promets de prendre le ménage en charge.

— J'ai déjà quelqu'un.

— Elle triche aux cartes. Vous devriez vous en méfier. Alors que moi, je suis l'honnêteté même.

— Mon Dieu ! Je vais prier pour vous.

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