La porte de la loge de Natacha s'ouvre. Nicolas en sort, livide. Il s'appuie contre le chambranle. Juliette, qui est en train d'annoncer à tout le monde qu'elle assistera à la représentation de ce soir en compagnie de Loïc, s'arrête à sa hauteur.
— Eh ben alors ? Notre metteur en scène préféré aurait-il mangé un truc pas frais ?
— Il va falloir annuler…
— Qu'est-ce que tu dis ?
Par l'entrebâillement, Juliette aperçoit Natacha, effondrée sur sa coiffeuse. Elle sanglote. Alertés par ses gémissements, Chantal et Taylor arrivent à leur tour. L'habilleur se précipite pour réconforter la comédienne.
— Il va falloir annuler, répète Nicolas, désemparé. On ne peut pas jouer ce soir.
— Mais pourquoi ferait-on ça ? s'étonne Chantal. C'est la plus grosse soirée de la semaine !
Nicolas se retourne et désigne son actrice principale d'un geste las.
— Extinction de voix. Madame est tellement stressée qu'elle a le larynx bloqué.
La vedette se retourne, le visage ravagé, et fait mine de parler. Un bruit étrange sort de sa gorge. Le couinement d'une barquette sous vide mal ouverte passée au micro-ondes.
— C'est terrible ! se lamente Taylor.
Juliette blêmit à son tour.
— On va lui donner du lait chaud, du miel, et ça va aller ! Il faut trouver une solution, coûte que coûte ! J'ai un invité de marque, moi…
La nouvelle se répand comme une traînée de poudre, au point que les trois quarts de l'équipe sont bientôt dans le couloir à commenter la situation. Certains proposent aussi des solutions :
— On n'a qu'à la faire jouer en play-back, lance un machino. Elle fait les gestes et Nicolas lira son texte avec une voix de fille.
Daniel est appuyé contre le mur. Lui aussi pleure parce que depuis six minutes, il souffre exactement de la même maladie que Natacha. Après son ostéoporose du lobe de l'oreille et sa schizophrénie de l'haleine, il est à son tour victime de cette épidémie planétaire mortelle qui commence par une extinction de voix, et dont Natacha et lui seront les deux premières victimes. Il lui propose d'aller se suicider ensemble pour abréger leurs souffrances, mais personne n'entend.
Signe que la situation est grave, Victor ne plaisante pas.
— Ça tombe mal, dit-il. Si on doit rembourser, ça ne va pas arranger nos comptes, et ce n'est vraiment pas le moment de se faire épingler pour des soucis de gestion.
Eugénie se fraye un chemin jusqu'à la diva et lui étreint les épaules.
— Si on te chouchoute, gorge bien au chaud avec un petit massage, tu devrais pouvoir récupérer ? Le rideau ne se lève que dans deux heures.
Natacha secoue la tête négativement pendant que Nicolas explique :
— Ça ne changera rien. Elle a déjà fait une crise du même genre voilà quelques années. On était allés à l'hôpital en urgence et les médecins avaient assuré qu'il n'y avait rien à faire. Après une bonne nuit de sommeil, tout était redevenu normal.
— Une nuit de sommeil de deux heures, tente Eugénie, ça pourrait marcher…
L'actrice s'effondre à nouveau, mais sans émettre aucun son. L'effet est surprenant. Dépité, Nicolas tranche :
— C'est une catastrophe, mais nous devons assumer. J'ai besoin de quatre volontaires pour accueillir les spectateurs et leur dire que la pièce ne sera pas jouée ce soir.
L'équipe est sous le choc. Un sale coup. Personne n'en veut à Natacha, mais il va falloir gérer.
Soudain, Juliette s'écrie :
— Attendez, j'ai peut-être une solution !