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— Alors docteur, comment va-t-il ?

— Sur le plan physique, plutôt bien. Il va évidemment garder une cicatrice sur le visage pendant quelque temps, mais il ne conservera aucune séquelle structurelle.

— Sa mémoire ?

— De ce côté-là, les nouvelles ne sont pas aussi bonnes… Nous ne décelons aucune évolution pour le moment. Il ne se souvient de rien avant son arrivée dans le service. On a été obligés de lui rappeler son propre nom…

— Pas le moindre souvenir ?

— Il est incapable de nous préciser son adresse, son activité professionnelle, s'il a des frères et sœurs, des enfants, ou même s'il est marié.

— Est-ce que c'est temporaire ?

— Même avec les progrès de la science, les arcanes du cerveau gardent leurs secrets. Ce genre d'amnésie peut très bien disparaître en quelques jours, ou durer des années. Je ne me risquerai pas à formuler un pronostic.

Céline se demande déjà comment elle va pouvoir gérer la perte de mémoire de Martial. Eugénie la réconforte, tandis que le docteur ajoute :

— Il a quand même fait preuve d'un comportement très surprenant hier soir. Troublant, devrais-je dire. Alors qu'il regardait la télé, il a soudain été pris de panique en voyant des images d'animaux. Les vaches et les chevaux, particulièrement, semblaient le terrifier. Vous avez une explication ? Un traumatisme lié à l'enfance ?

— Les arcanes du cerveau, docteur…

— C'est très juste. Je vous laisse lui rendre visite.

La main sur la poignée de la porte, devant la chambre, Céline hésite.

— Sois forte, l'encourage Eugénie, je sais que ce n'est pas évident.

— Je voudrais ne plus jamais être en contact avec cet individu. Il m'a fait souffrir et c'est encore moi qui me sens coupable, tu te rends compte ?

— On ne reste que quelques minutes, je suis là.

Elle entre. En découvrant son ex-mari avec son long pansement sur le visage dans le décor aseptisé de cette chambre d'hôpital, Céline est prise d'émotions contradictoires. Elle en veut énormément à cet homme, mais le voir ainsi alité, endormi, empêche sa rancœur de s'exprimer. Au pied du lit, elle l'observe. Eugénie se tient un peu en retrait.

Céline est perturbée. Si elle avait vu Martial dans la même situation trois ans auparavant, elle aurait été capable de donner ses deux reins pour qu'il guérisse. Elle aurait été mortifiée, anéantie à l'idée que l'homme qu'elle aimait tant puisse souffrir. Aujourd'hui, elle se dresse devant lui, distante, froide, peu concernée, d'abord satisfaite qu'Ulysse n'ait pas insisté pour venir rendre visite à son géniteur. Elle mesure l'évolution de ses sentiments et le gouffre abyssal qui s'est ouvert entre ce qu'elle éprouvait avant et ce qu'elle ressent maintenant. Comment a-t-elle pu aimer cet homme ?

Alors qu'elle envisage déjà de repartir, Martial ouvre les yeux. La voilà comme un lapin pris dans les phares d'une camionnette de charcuterie. Pourvu qu'il ne se souvienne de rien, sinon elle va finir en terrine.

Il la dévisage comme une parfaite inconnue. Étrange sensation.

— Vous n'êtes pas toubib ? demande-t-il.

— Non.

— On se connaît ?

— Un peu.

— Vous êtes venue avec ma mère, ou est-ce la vôtre ?

Eugénie se contient. Maman Bronto à l'hosto, encore des gamins en cadeau.

— C'est une amie, précise Céline.

— Bien aimable à vous de me rendre visite.

Martial la vouvoie. Il ne l'avait jamais fait. Même à leur première rencontre, lors d'une soirée professionnelle, il l'avait tout de suite tutoyée.

— Vous ne me reconnaissez pas ? demande-t-elle.

— Non, franchement non.

Céline trouve étrange qu'il ne lui demande pas qui elle est. Mais cela l'arrange bien.

À la façon dont il la regarde, Céline devine qu'il la trouve encore à son goût. Pour la première fois de sa vie, elle a droit à un de ces coups d'œil vaguement lubriques qu'il réservait habituellement à toutes les femmes sauf à la sienne. Certains hommes ne convoitent que ce qu'ils ne possèdent pas encore, sans se soucier de ce dont ils devraient prendre soin.

— Savez-vous ce qui m'est arrivé ? Personne n'a été capable de me l'expliquer. J'ai eu un accident de voiture, c'est ça ?

— Pas exactement. Je ne connais pas les détails, mais…

Martial grimace et porte la main à son visage.

— Ça me lance encore ! gémit-il. Allez me chercher un antidouleur, vite !

Céline obéit au quart de tour. Les vieux réflexes ne se perdent pas facilement. Elle sort immédiatement, suivie d'Eugénie, qui l'attrape par la manche dans le couloir.

— Pas si vite !

— Il a mal, je dois prévenir les infirmières.

— Tu n'es plus sa bonne, il n'a qu'à utiliser son bouton d'appel.

Céline réalise qu'il ne lui a fallu qu'un instant pour retomber dans ses anciens travers.

— Tu as raison. Un pansement sur sa sale tête et voilà que j'oublie qui il est. C'est moi, l'amnésique.

— Justement, il y a peut-être une chance à saisir.

— Comment ça ?

— Il ne se souvient de rien du tout. Il est comme un disque dur vierge…

— Quelle idée as-tu ? Je connais cet air-là. Quel plan tordu a encore germé dans ton esprit malade ?

— Réfléchis. On peut lui raconter ce qu'on veut, sur tout ! Cette fois, c'est lui qui gobera nos histoires.

— Tu me fiches la trouille. Mais tu m'intéresses…

— Il t'a bien dit que pour mettre la main sur le pactole, il faudrait que tu puisses lire dans ses pensées ?

— Ce sont ses mots exacts.

— Pendant qu'il n'a pas toute sa tête, on pourrait peut-être essayer de fouiller dedans…

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