La porte s'ouvre et le vent s'engouffre. Elle s'avance. Il fait nuit, un peu froid. Devant la pleine lune qui brille au-dessus des toits hérissés d'antennes et de cheminées, Eugénie prend une profonde inspiration. Elle écarte lentement les bras, telle une prêtresse antique. Après ce qu'elle a surmonté, alors que s'esquisse enfin la promesse d'un futur, ce geste a tout d'une ouverture au monde. Elle fait signe à Céline et Juliette de lui donner la main.
— Venez, les filles.
— Ne t'approche pas davantage du bord, avertit Céline.
— Rien de fâcheux ne nous arrivera ce soir, répond la gardienne.
— Tout le monde nous attend en bas, ajoute Juliette.
— Je ne demande que quelques minutes.
Les trois amies se tiennent côte à côte, non loin du vide. Eugénie s'incline bien bas devant le panorama sombre et bleuté qui s'étend à perte de vue. Saluer la vie comme on salue un public. Merci pour tout.
Quoi qu'il advienne, cette soirée a changé son destin.
Les mains se séparent, et Céline s'empresse de se réfugier auprès d'Anthony, qui se tient en retrait, pendant que Loïc accueille sa danseuse près de la porte.
Victor s'approche et se glisse derrière sa femme.
— C'est d'ici que tu as voulu en finir ?
— C'est d'ici que je me suis envolée.
Un souffle de vent les enveloppe.
— Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
— On continue, Victor. On tient la place et on donne tout ce que l'on peut.
— Ai-je le droit de faire l'imbécile ?
— C'est essentiel. Je compte sur toi.
Il referme ses bras sur elle, niche son nez dans son cou et ferme les yeux.