— Bénissez-moi, mon père, parce que cette fois j'ai vraiment péché.
— Fantastique ! Je suis heureux de vous voir revenir. Comment allez-vous ?
Le décalage entre l'enthousiasme du curé et la voix défaite de Céline est saisissant.
— Je fais aller. Contente de vous retrouver aussi. Pour le reste…
— Racontez-moi tout. Ce n'est peut-être pas si grave que ça.
— Quand même… J'imagine que peu de gens viennent pour confesser qu'ils ont gagné quinze patates au Loto.
— Ulysse va bien, au moins ?
Céline note que le prêtre a retenu le prénom de son fils alors que son amant ne se souvient même pas qu'il existe.
— Il va bien, je vous remercie. Et la petite dame qui triche à la belote ?
Le curé se mure d'abord dans un silence gêné.
— Je suis conscient d'avoir commis une erreur en vous en parlant. Je m'en veux terriblement. Ça m'arrangerait vraiment si vous pouviez oublier…
— Je comprends. C'est d'accord, ça y est, c'est oublié. Je n'ai jamais entendu parler de cette histoire.
— Comment pouvez-vous prétendre une chose pareille ? Vous savez très bien que l'on ne peut pas effacer une information de notre mémoire.
— Alors pourquoi me demandez-vous de le faire si c'est impossible ?
— C'était une façon de parler…
— Elle ne joue pas d'argent, au moins ?
— Par pitié, c'est moi qui vais finir par vous demander l'absolution.
Chacun de leur côté du parloir, malgré leurs situations respectives moralement inconfortables, ils apprécient le côté peu orthodoxe de leur discussion. Avec qui peut-on échanger avec une franchise aussi absolue ? De qui peut-on sentir chaque nuance de la voix, sans enjeu, et sans même se voir ?
— Vous m'annoncez que vous avez réellement commis une faute, reprend le prêtre. Pourtant, à en juger par votre énergie, vous me semblez en bien meilleure forme…
— Sans doute est-ce ma nature démoniaque qui s'épanouit dans le péché.
— Ne plaisantez pas avec ça. Vous confesser, je peux, mais vous exorciser, je sens que ce sera au-dessus de mes compétences. Confiez-moi ce que vous avez fait.
— Après avoir été une mère indigne, je suis une criminelle recherchée par la police.
— Ne me dites pas que vous avez trucidé votre ex-mari, vous me feriez beaucoup de peine, je vous trouve si gentille.
— Non, ce fumier — pardon, ce vilain monsieur — est encore en vie, mais je suis allée l'intimider avec deux copines pour tenter de récupérer l'argent qu'il me doit.
— À la bonne heure. Sans violence, j'espère ?
— Aucune, j'étais accompagnée de deux herbivores.
— Des herbivores ?
— Mes deux meilleures amies. C'est compliqué, je vous expliquerai une autre fois.
— Avez-vous réussi à obtenir ce qui vous revenait ?
— Rien de rien. Tout ce qu'on a récolté, c'est une bonne crise de fou rire en repartant.
— Alors où est le problème ? Je suis prêtre, pas avocat.
— Il semble que malgré notre fiasco, Martial soit allé se plaindre à la police, qui m'a écrit et a tenté de me joindre jusque sur mon lieu de travail.
— Effectivement, c'est ennuyeux.
— J'ai peur, mon père. Que se passera-t-il si je me retrouve en prison ? Qui protégera Ulysse, qui l'élèvera ? Il sera placé, et il perdra tous ses repères. J'aurai de ses nouvelles au journal de 20 heures parce qu'il aura braqué une banque ou dérobé des cadeaux de Noël car il n'en aura pas eu assez…
— Nous n'en sommes pas encore là. Je conçois votre inquiétude, mais même le malheur ne va pas aussi vite en besogne, et pourtant, Dieu m'est témoin qu'il est prompt à saisir les opportunités.
— N'empêche que j'ai la trouille de me ramasser de nouveaux ennuis. Je n'en ai vraiment pas besoin. Je peine déjà à garder la tête hors de l'eau…
— Dans la période difficile que vous affrontez, je vois cependant un progrès.
— J'aimerais bien savoir où…
— Vous n'y êtes pas allée toute seule, c'est donc que vous avez parlé de votre situation à des proches. Vous êtes sur la bonne voie.
Céline ne répond pas immédiatement.
— Je n'avais pas envisagé la situation sous cet angle, mais vous avez raison.
— Vous voyez, ça va déjà mieux, et j'en suis sincèrement heureux pour vous, parce que vous me faites l'effet de quelqu'un de bien.
— C'est très gentil. Ne vous méprenez pas sur la portée de ma question, mais à tout hasard, savez-vous si le mariage des prêtres sera bientôt autorisé ?