68

— Le choc a peut-être fait sauter des branchements et du coup, à l'intérieur de ta tête, c'est le grand court-circuit ! Comme une armoire électrique dans laquelle un mec aurait passé le Rotofil. Pas étonnant que tu ne te souviennes plus de rien ! Si ça se trouve, t'es Lénine, Elvis ou la princesse de Clèves. Pendant que t'es là à glander sur ton lit en essayant de te souvenir de qui tu es, ils t'ont piqué la Russie, ton beurre de cacahuètes et tes robes en dentelle !

Le charme de Tiffany n'ayant pas opéré, Daniel constitue la nouvelle arme secrète du trio infernal pour déstabiliser Martial. L'idée, venue de Victor, consiste à envoyer un hypocondriaque paranoïaque affoler un amnésique hospitalisé afin de le fragiliser psychiquement avant de lui rendre une visite décisive.

Inquiet, l'ex de Céline fixe son interlocuteur qui, lui, le dévisage sans vergogne. L'homme penché au-dessus de son pansement est si proche que Martial peut compter les poils de sa barbe. Il n'a aucune idée de l'identité de son visiteur, pas plus de celle de tous les gens qui sont venus le voir depuis qu'il a repris connaissance. Parfois, il a l'impression de devenir fou.

Daniel secoue la tête, désolé.

— Ils prétendent que tu ne garderas aucune cicatrice, mais ils mentent. À moi aussi, ils ont raconté des craques. Une fois, en lavant mon compteur électrique au jet, j'ai pris une grosse décharge et du coup, mon bras ne fonctionnait plus. J'ai rampé sur des kilomètres pour me traîner jusqu'à l'hosto. J'étais tellement mal qu'ils m'ont gardé une nuit en observation. Le lendemain, comme par miracle, mon bras remarchait à nouveau parfaitement. Ces affreux m'ont alors jeté dehors en me pipotant que j'étais guéri, mais je sais que c'était de l'intox ! Ma main à couper que pendant mon sommeil, ils m'ont greffé une cochonnerie de bras bionique. Ils le contrôlent à distance. Un jour, je vais me coller des claques à moi-même et je n'y pourrai rien ! Ils me téléguideront depuis leur Q.G. secret ! Avec le gadget qu'ils m'ont posé, ils peuvent en plus entendre tout ce que je pense et me suivre à la trace. Et tiens-toi bien, ils ont dû ramasser une fortune en revendant mon vrai bras à un petit manchot. Ces fumiers gagnent sur les deux tableaux. Ils nous contrôlent et font fortune ! On peut pas lutter.

Ce qu'il y a de bien avec Daniel, c'est qu'il est inutile de lui écrire ses textes. Il suffit de le lâcher en roue libre et le résultat est garanti. Il épouvanterait une bûche, juste après l'avoir déprimée. Le voilà qui tend la main en direction de l'amnésique et lui colle son index sous le nez.

— Mate l'extrémité de mon doigt.

Martial va jusqu'à loucher pour essayer de distinguer quelque chose, mais ne remarque rien de spécial.

— Fais un effort, insiste Daniel. Sous la peau, on aperçoit une trace sombre. Je te parie que c'est un nano émetteur.

Martial essaie de ramener un peu de rationalité dans leur conversation.

— Vous êtes hospitalisé dans ce service ?

— Ici ou ailleurs, quelle importance ? De toute façon, je les ai tous faits ! Une fois, j'étais là pour le même genre de choc que toi. À l'époque, je faisais du camping et, une nuit, un truc insensé s'est écrasé sur ma tente. C'était un vendredi 13… À trois mètres à la ronde, il n'y a eu que moi et un raton laveur pour survivre. J'aurais pu être broyé, écrabouillé. Heureusement que je pionce avec un casque ! Ça m'a pété les piquets et déchiqueté la toile ! Pendant trois jours, je n'ai vu que d'un œil, jamais le même. Ça changeait toutes les heures. Une flippe sidérale ! Ils m'ont baratiné que c'était une branche d'arbre qui avait cédé à cause d'une rafale de vent, mais ensuite, j'ai vu un documentaire, une enquête très sérieuse évidemment diffusée entre deux téléfilms érotiques en pleine nuit, qui m'a mis la puce à l'oreille. Il paraît que dans les régions isolées, une section secrète de l'armée russe teste des nouveaux virus qu'ils balancent dans la nature. Ils les larguent par hélico quand tout le monde dort ! Pas besoin de chercher plus loin : j'en ai pris un gros sur la gueule. Un mastard. D'ailleurs, ça m'a démangé pendant six ans.

Martial est de plus en plus stressé. Il n'aime pas les histoires que lui raconte ce type.

— Avez-vous déjà été amnésique ?

— Je ne m'en souviens plus ! Ce que je sais, c'est qu'un jour où, comme toi, j'avais des trous de mémoire, ils m'ont mis des électrodes sur la tête pour faire des « mesures »…

— J'ai fait des tests du même genre hier, avant-hier…

— Eh bien méfie-toi mon pote, parce que dans mon cas, ils en ont profité pour piquer des idées que j'avais bien au chaud sous les cheveux. Figure-toi que j'étais sur le point d'inventer l'airbag et les nouilles précuites et que comme par hasard, quand je suis sorti, toutes les voitures en étaient équipées et on trouvait mes nouilles en vente partout ! Je n'ai évidemment pas touché un centime sur mes inventions. Si ça se trouve, ils comptent les paquets d'argent qu'ils m'ont raflés avec le bras qu'ils m'ont piqué… Mais ce n'est pas le pire.

— Ah bon ?

— Non. Tiens-toi bien : après m'avoir fouillé la cervelle, ils m'ont épluché par tous les trous, si tu vois ce que je veux dire…

— Quel rapport avec l'amnésie ?

— Y en a aucun, ce sont des pervers. Mais laisse-moi te dire que quand ils en ont eu fini avec mon cul, il ressemblait à une mine de cuivre brésilienne.

— C'est-à-dire ?

— À ciel ouvert, visible de l'espace. Je vais te montrer.

Загрузка...