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Pendant les saluts, Natacha — les bras chargés de roses — a embrassé Maximilien. Pas un baiser de théâtre, mais une véritable marque d'affection. Annie et Chantal, qui ont parfois été obligées de les séparer physiquement tellement leur relation pouvait être violente, n'ont pu retenir leur émotion. L'acteur, radieux, a fait signe qu'il souhaitait prononcer quelques mots. Les plébiscites de la salle se sont calmés doucement.

— Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, pour vous ce soir, nous avons eu l'immense honneur de jouer cette pièce pour la toute dernière fois. Qu'il me soit permis, au nom de toute la troupe, de vous remercier de votre attention et de votre chaleureuse participation.

Joignant le geste à la parole, il s'incline bien bas et fait une révérence à laquelle la salle répond par une salve d'applaudissements.

— Je veux partager le succès que vous nous offrez avec notre metteur en scène, que j'invite à nous rejoindre sur scène ; avec les équipes techniques, mais aussi avec M. Thibaud Marchenod, propriétaire et descendant direct de celui qui fonda cet illustre théâtre.

Maximilien désigne la loge centrale. La foule se retourne. Pendant un bref instant, on ne distingue qu'un fauteuil vide entre l'épouse et le couple d'amis, qui paraissent gênés. Une grande silhouette finit par sortir de la pénombre et salue.

Le comédien reprend :

— Au nom de notre compagnie mais aussi à titre très personnel, je souhaite également remercier celle grâce à qui cette salle a retrouvé un second souffle ; celle qui, sans jamais s'épargner, veille sur chacun de nous tout en préparant un spectacle très personnel que vous pourrez découvrir dès l'automne. J'ai le plaisir de vous présenter notre bien-aimée Eugénie Camara !

Un tonnerre d'applaudissements retentit, emmené par les équipes et la distribution. Juliette et Céline hurlent comme des adolescentes, Laura siffle, et Taylor tente même de lancer une ola.

L'intéressée ne s'attendait pas à cet hommage. Elle n'a pas d'autre choix que de se lever. Elle apparaît dans la lumière et prend appui sur le parapet du balcon. Posté au pied de la scène, Victor la regarde. Il est bien loin de celle dont il partage la vie. Le régisseur est à la fois ému de cet hommage mérité, et triste de ne pas avoir trouvé le moyen de le lui rendre lui-même. Pourtant, c'était son idée.

Eugénie se sent bizarre. Elle agite la main. C'est tout ce qu'elle est capable de faire pour manifester sa gratitude. Pas question de parler. La clameur l'enveloppe. Tous ces visages, ces sourires, ces ovations, rien que pour elle. Elle n'a jamais rien connu de tel. Une émotion de plus après celles déjà si fortes de ces derniers mois. Vouloir en finir avant de remonter la pente. Perdre ses repères avant de trouver d'autres buts. Lâcher ses illusions pour partir vers ses rêves.

Entre le spectacle à écrire, ce qu'elle vient d'apprendre de M. Marchenod, la dernière de la pièce et tout ce qui lui malaxe l'esprit et le cœur, Eugénie chancelle. C'est sans doute trop pour une seule femme. Alors qu'elle salue de plus en plus faiblement, la gardienne s'effondre.

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