Merci de m'avoir suivi jusqu'à ces pages. Heureux de vous y retrouver. Ce rendez-vous constitue pour moi un moment étrange, une sorte de faille temporelle pendant laquelle j'ai le droit de m'adresser à vous autrement, plus proche, sans aucun filtre. Une fenêtre rare, une fois par an — tout l'inverse d'une éclipse, plutôt un coin de ciel bleu dans une trouée nuageuse.
De ma modeste place, achever cette histoire restera un souvenir très particulier. Les derniers mots de la dernière scène, le matin très tôt, comme toujours, mais avec cette fois quelque chose d'encore plus fort. En fait, je n'ai jamais été aussi triste d'écrire le mot « Fin ». J'ai énormément aimé ce théâtre et tous ceux avec qui j'y ai vécu. J'espère que vous aussi.
Heureusement, le retour à la réalité se fait en votre compagnie. Donc, tout va bien.
Je souhaite dédier ce livre à ceux — musiciens, auteurs, réalisateurs, peintres, sculpteurs… — qui vivent pour partager des émotions, et à ceux qui ont envie de les recevoir. Je vous vois déjà sourire. Vous vous dites qu'en cumulant ces deux catégories, je touche la totalité de la population du monde. Détrompez-vous. Certains n'ont que faire de partager, et d'autres n'ont pas envie de ressentir. Observez autour de vous. Bien qu'étant théoriquement l'apanage de notre espèce, l'empathie et l'élan ne sont pas universels. C'est donc aux rêveurs que je rends un hommage affectueux, ainsi qu'à ceux qui les croient.
Dans une époque aussi troublée que la nôtre, alors que les repères se brouillent sans cesse, il est d'autant plus important de savoir pourquoi l'on fait les choses. Réduire l'écart entre le discours et l'acte. Découvrir qui l'on est vraiment et l'accepter. Trouver sa place. Je crois qu'il faut d'abord en passer par ces étapes cruciales avant de bénéficier d'une véritable liberté d'action. Pour ceux qui ont la chance d'y parvenir avant d'avoir épuisé leurs forces, vient ensuite le temps de l'action sincère, celle qui dépasse ce que l'on est pour aller vers ce que l'on croit. J'en suis là. Il m'aura fallu suivre un chemin tortueux, jalonné de rencontres merveilleuses ou douloureuses et de leçons du même genre, pour parvenir jusqu'à vous.
Je n'ai pas l'intention d'étaler ma vie, mais je souhaite vous confier une anecdote qui peut-être, soulèvera en vous les questions essentielles qu'elle réveille encore en moi. Dans le parcours du combattant qu'il nous faut tous suivre pour espérer nous sentir un jour en paix avec nous-mêmes, j'ai connu quelques étapes qui m'ont littéralement configuré, et si vous le permettez, j'aimerais vous confier la première de toutes.
J'avais à peine dix ans. J'habitais rue du Clos-Lacroix, et l'école primaire à laquelle je me rendais tous les jours se trouvait dans une rue parallèle située immédiatement derrière. Les deux voies étaient à l'époque reliées par une large bande de terrain en friche planté d'arbres fruitiers dont on se gavait au fil des saisons. Pour gagner du temps, je coupais souvent par ce raccourci secret auquel on accédait par le jardin de nos adorables voisins. C'était le territoire de notre petite bande, où les plus âgés d'entre nous ont construit des cabanes fabuleuses. Un monde en soi, dont personne ne réussissait jamais à nous déloger !
Un jour, en sortant de l'école, j'allais m'y engager lorsqu'un copain m'a demandé s'il pouvait m'accompagner. Il ne l'avait jamais fait. Et même si nous nous entendions bien, il ne faisait pas partie du groupe pour qui ce territoire était un sanctuaire. Ma mère m'attendait. Je lui ai dit que je devais rentrer chez moi. Il m'a simplement répondu : « pas moi ». J'ai cru qu'il allait pleurer, debout dans la rue. À cet âge-là, pas question de laisser un pote chialer devant tout le monde, c'est une honte insupportable, une infamie que l'on doit éviter même à son pire ennemi. Je l'ai alors entraîné avec moi jusqu'au milieu de la jungle des cerisiers, pommiers et pruniers, et nous nous sommes assis sur un tronc abattu.
Quand il a été certain que personne ne pouvait plus nous voir, il s'est lâché et ses larmes ont coulé. Je n'avais jamais vu un copain pleurer ainsi — sauf Christophe lorsqu'il s'était pété la jambe en sautant du muret du préau juste après avoir hurlé : « J'ai embrassé Nathalie ! » En l'occurrence, mon camarade m'a raconté, en hoquetant, que chez lui la situation était intenable. Tous les soirs des cris, tous les soirs des portes qui claquent. Ses parents étaient sur le point de divorcer. À l'époque — voilà quarante ans — le mot nous faisait encore peur. Il était synonyme de catastrophe familiale. Mais ce n'était pas le pire : la veille, sa mère lui avait déclaré qu'il en était en grande partie responsable.
Depuis cette effroyable accusation, il était sous le choc, dévasté. Il s'en voulait à mort parce qu'à cet âge-là, on croit ce que disent les grands, surtout quand c'est votre mère. Alors il avait décidé de ne pas rentrer chez lui. Fuguer, fuir, ne pas faire de nouveaux dégâts et ne plus en subir. Sans savoir où aller. Le genre de plan qu'on se joue quand on a dix ans. Dans quel état faut-il être pour abandonner sa base ? Il n'avait sur lui qu'un billet de cinquante francs plié en quatre, mais il avait calculé qu'il pouvait tenir au moins un mois. Dans mon univers plutôt stable et bienveillant, ce qu'il affrontait a fait l'effet d'une bombe. J'ai été incapable d'avoir une réaction adaptée. J'étais juste bouleversé avec lui. Je lui ai proposé de venir chez moi.
Ma mère n'aimait pas quand je ramenais un copain à l'improviste mais cette fois-là, elle n'a rien dit. En voyant nos têtes, sans doute a-t-elle senti que ce coup-ci, c'était sérieux. Elle nous a préparé un goûter. Des tartines beurrées avec du chocolat Poulain saupoudré dessus. Il est resté une heure et demie. J'ai convaincu ma mère d'appeler la sienne pour lui dire que tout allait bien et lui épargner un retour sévère. Je lui ai offert deux petites voitures, une Simca verte et une Panhard noire. Et je l'ai raccompagné chez lui.
Je pense que cette nuit-là, j'ai aussi mal dormi que lui. J'étais inquiet de ce qu'il pouvait faire, mais je me suis aussi demandé ce que l'on éprouve lorsque ceux qui sont supposés vous défendre vous rendent responsable d'un drame. Et surtout, que devient-on lorsque son foyer s'écroule ? Comment survit-on à un séisme de magnitude 10 sur l'échelle d'un cœur de gosse ?
Cette journée a été le théâtre de deux situations inédites pour moi. C'était la première fois que je passais mon bras autour des épaules d'un mec qui pleure. On ne fait pas ça facilement à dix ans. Et c'est cette nuit-là que je me suis juré de me demander chaque soir ce que je fais là, pourquoi j'y vis et pour qui j'ai envie d'y rester. Je le fais toujours.
Je ne peux pas vous donner le prénom de mon copain, parce qu'aujourd'hui, il va bien. Il a une vie épanouie en famille et je ne veux pas le gêner. On se voit moins, mais il y a un truc à part entre nous. Nous devions avoir trente ans lorsque nous en avons reparlé pour la première fois. C'est lui qui s'est assis à côté de moi, dehors, sur un banc et plus sur un tronc, au soir du mariage d'un ami commun. Il m'a fait remarquer qu'on avait parcouru un sacré bout de chemin depuis ce jour-là. J'ai osé lui demander pourquoi c'était à moi qu'il avait choisi de se confier. Il m'a répondu : « Je n'en sais rien. Je n'ai pas réfléchi. Je t'aimais bien, tu faisais tout le temps le pitre, mais au moment où je me suis dit que je ne reverrais peut-être jamais notre village, ni l'école, tu es le seul à qui j'ai eu le courage de dire au revoir. »
Vingt ans plus tard, on a pleuré comme des cons, et c'est lui qui m'a posé la main sur l'épaule.
Je ne sais pas pourquoi j'attire ce genre de moments, ce type de contacts, mais le fait est qu'ils sont finalement ma raison de vivre. J'y suis sensible au-delà de tout.
Je vais être honnête avec vous — on se connaît un peu. Le soir, quand je me demande pourquoi j'existe et avec qui je vis, je n'ai plus vraiment d'incertitude. Pascale, mes enfants, mes proches, et même vous, êtes une réponse imparable qui efface mes doutes pourtant nombreux. Des gens pour qui trembler, des gens avec qui avancer, des gens pour qui imaginer.
Sans doute parce que je suis presque en paix, je conseille à tous ceux que j'aime de se poser leurs questions existentielles et de ne jamais avoir peur des réponses. Accepter ou réagir. Aucune alternative n'est viable. C'est le seul moyen d'être soi-même. Je vous souhaite à tous de trouver votre place, d'être en phase avec vous-mêmes et de ne faire que ce que vous croyez. Ce n'est pas une formule sortie d'un bouquin de développement personnel, c'est la meilleure leçon que l'on puisse tirer de cette chienne de vie. Du fond du cœur, je vous souhaite d'y parvenir.
Depuis Le Premier Miracle, j'ai vécu un mariage et quatre enterrements. J'aurais préféré la proportion inverse, comme dans le film. Chaque jour m'apprend à ne pas perdre de temps, à aller vers ce qui compte. Vous me poussez à cela. Je vous en remercie.
Vous êtes nombreux à me lire. Vous connaissez ma gratitude à votre égard. Certains d'entre vous sont devenus plus que de simples connaissances. Alors si vous m'y autorisez, publiquement, je souhaite remercier quelques personnes pour les magnifiques rencontres qu'elles incarnent. À chaque fois, ces gens ont eu la bonté de venir vers moi. Merci pour cela.
À Emmanuelle pour les sublimes levers de soleil vus de son gros camion qui sillonne l'Europe ; à Marie-Louise pour sa magnifique tribu et sa sagesse qui éclaire ; à Ingrid pour son courage qui la conduira au bonheur ; à Nicolas pour ses vignes champenoises, son humanité, sa moustache et sa hache ; à Brigitte pour sa passion généreuse des auteurs et des livres ; à Marjorie pour ses doutes qui dessinent un cœur immense ; à Nelly pour sa discrète bienveillance qui fait vivre un superbe groupe ; à Nathalie et Thomas pour l'énergie et le regard sur la vie que nous partageons ; à Maïté pour son humour qui ne sévit pas qu'à la radio belge et son intégrité face à la vie ; à Sophie-Véronique et Dominique pour cette alliance chaleureuse de talent et d'élégance ; à Aurore parce que la voir grandir est une chance ; à Claire, ses enfants et sa nouvelle vie ; à Yvan et Dominique pour leur regard complice qui n'exclut jamais personne ; à Jean-Luc et Marie-Claire pour leur touchante aptitude à chercher l'émotion partout où elle est, à Anne et sa joyeuse bande à travers la France.
Chacun de ces prénoms correspond à une histoire magnifique. La liste n'est pas exhaustive et j'aurais pu en remplir des pages. Que ceux qui n'y figurent pas encore me pardonnent.
Je veux aussi remercier particulièrement Juliette Franquet, à qui j'ai emprunté son nom, son charme et son énergie pour mon personnage. Te rencontrer a été un véritable plaisir.
Merci aux libraires qui me soutiennent au quotidien, avec une très affectueuse pensée à Fabio Agosta, Valérie Alletto, Jean-Michel Blanc, Julie Boucher, Véronique Bruneau, Valérie Caffier, Sandrine Dantard, Frédéric Delbert, Adeline Giry, Juliette Jeanroy, Eric Lafraise, Danièle Lanoë, Martin et Émilie Montbarbon (tous mes vœux bande de jeunes !), Angélique Müller, Pascal Pannetier, Maëlle Rey, Charlotte Roux, Samantha Sabba, Julien Tenat, Brigitte Ternisien, Betty Trouillet et Caroline Vallat. Là encore, je ne peux pas citer toutes celles et tous ceux qui m'appuient et vous prie de m'en excuser.
Merci également aux bibliothécaires, enseignants, et éditeurs étrangers passionnés qui me portent vers leurs publics aussi bien en France qu'à l'autre bout de notre petite planète.
Merci à Anna Pavlowitch et Gilles Haéri, sincèrement, particulièrement, ainsi qu'aux équipes de Flammarion pour leur façon aussi humaine que professionnelle d'avancer. Vous aussi me redonnez foi en ce milieu.
Merci à Béatrice Pellizzari pour son aide précieuse, son regard bienveillant et ses séances marathon de relecture avec Pascale…
J'embrasse tous ces amis d'enfance que je vois ressurgir au hasard des séances de dédicaces et avec qui nous reprenons le chemin. Personne n'a changé, au moins humainement… Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle !
Bienvenue au tout jeune Andrea. Mon gars, tu as de la chance. Tu es tombé dans une famille remplie d'amour.
À Pascale, Guillaume et Chloé. Avec vous trois, « Une fois dans ma vie », c'est tous les jours. Ce que nous vivons ensemble constitue le cœur de mon existence. La bonne combinaison reste l'alliance d'un choc sourd et d'un éclat de rire de Chloé pendant que son frère annonce déjà que c'est de la carotte.
À ma famille bien-aimée, avec qui je vis de plus en plus, pour mon plus grand bonheur. Olivier et Juliette, on arrive pour dîner…
Et pour finir, fidèlement, c'est par vous que je termine, vous qui tenez ces pages, comme ma vie, entre vos mains. Merci de me laisser espérer que c'est ma place.
Si vous en avez envie, je vous donne rendez-vous l'année prochaine, avec une nouvelle comédie : J'ai encore menti. Je suis certain que ce titre-là vous parle tout autant qu'à moi !
N'ayez peur de rien. Où que vous soyez, quelle que soit l'heure, je vous embrasse. Ceux qui n'aiment pas ne font pas cela. Les huîtres non plus, d'ailleurs.
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Gilles Legardinier
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