Écartant discrètement le rideau, Victor jette un œil sur la salle depuis les coulisses.
— Alors ? lui demande Olivier.
— C'est plein. Si on se ramasse ce soir, il y aura pas mal de témoins.
Étant donné la situation particulière, même ceux qui d'habitude ne restent pas pour la représentation comptent bien y assister. Les deux hommes retournent en hâte vers les loges, où Maximilien tente de rassurer Céline.
— Ne pense à rien d'autre qu'à ton texte. Même si au travers de la dramaturgie, nous ne sommes pas alliés, dans le jeu n'hésite pas à t'appuyer sur moi.
L'actrice d'un soir est bombardée de conseils. Tout le monde lui en donne. Nicolas, la régie, Chantal, Taylor… Elle n'en peut plus. Tout se mélange dans sa pauvre tête. Il n'y a que Norbert pour se taire et lui témoigner une compassion muette. Avec ses boutons cousus à la place des yeux, il semble lui lancer un regard de soutien. Daniel est venu lui expliquer que, de toute façon, rien de ce qui va se passer n'est grave parce qu'on finit tous par mourir. Annie aussi a voulu lui dire un mot, mais elle a vu une araignée, alors ses encouragements se sont mués en cris et jurons.
Eugénie débarque dans la loge comme une tornade.
— Allez tout le monde, merci de vos visites ! fait-elle en tapant dans ses mains. Maintenant, on laisse la demoiselle se concentrer !
Une fois la porte de la loge refermée, Eugénie s'assoit près de son amie, qui reste prostrée.
— Tu veux que je te laisse aussi ?
— Non, s'il te plaît, reste. Sinon je vais me flinguer.
— Pas évident d'y arriver avec une brosse à cheveux et du fond de teint…
Céline a un pauvre sourire et demande :
— Où est Juliette ?
— Dans la salle, avec Loïc. En N10 et N11. Elle t'embrasse. Tu les verrais, ils sont collés l'un à l'autre, mais sans oser se toucher.
— C'est possible, techniquement ?
— Ça donne un truc bizarre.
— J'espère qu'il ne la décevra jamais.
— Ce que tu vas jouer ce soir ne parle que de cela. Je suis heureuse que Loïc découvre cette histoire qui, un jour peut-être, lui évitera de faire du mal à notre Juju.
— Et c'est moi qui vais lui jouer la fable…
— À titre tout à fait personnel, je trouve le hasard magnifique. Toi qui joues cette histoire pour Juliette et son amoureux.
— C'est vrai, c'est joli. Mais je crois quand même qu'on fait une énorme bêtise.
— Tu sais mieux que personne ce que « couvrir un risque » signifie, alors dis-toi que tu es notre assurance-vie, notre filet de sécurité.
— J'espère ne pas craquer.
On toque à la porte. Eugénie se lève d'un bond, prête à protéger son amie d'une visite inopportune ou d'une nouvelle salve de conseils. Elle va ouvrir.
Dans le couloir, c'est toujours l'effervescence. Natacha s'avance et referme derrière elle. Les yeux embués de larmes, elle fixe Céline. Elle voudrait parler mais ne peut pas. Elle est venue avec une feuille, un mot écrit qu'elle lui tend.
« N'aie pas peur. Te faire jouer est une bonne idée. Si tu y vas en doutant, tu échoueras. Jette-toi dans le vide et tu verras que le public te portera. Je vis cela à chaque fois. Je suis avec toi. »
Ayant lu, Céline regarde Natacha dans les yeux. La comédienne esquisse un sourire en joignant ses mains, comme pour une prière. Puis elle prend la couturière dans ses bras.
On frappe à nouveau à la porte. Cette fois, Eugénie grogne. C'est un assistant régie qui annonce :
— Céline, tu dois rejoindre le plateau dans quatre minutes. Je viens t'équiper avec l'oreillette. Nicolas sera dans le trou du souffleur pour t'aider si tu oublies des répliques.
— Pas de danger que j'en oublie, c'est l'histoire de ma vie.
Le jeune homme aide l'actrice d'un soir à poser le transmetteur miniature.
— Trois minutes, lui précise-t-il.
— C'est bien suffisant pour que j'aille vomir.