54

— Vous me remettez ? Inspecteur De Freitas.

— Bonjour, inspecteur. Avez-vous enfin élucidé le mystère de la carte postale qui a fait si peur à mon pauvre ex-mari ?

— Très franchement, ça m'est parfaitement égal. Je ne suis pas là pour cette partie du dossier. Mais je trouve la situation de plus en plus passionnante.

— Pourquoi donc ?

— Je pressentais que nous allions nous revoir, malgré tout je ne pensais pas que cela se produirait aussi rapidement. Admettez que votre relation avec lui prend une étrange tournure.

— Martial et moi n'avons plus de relation, inspecteur.

— Vous étiez quand même présente lors de son « accident domestique »…

— Vous n'allez pas m'accuser d'avoir envoyé mon ex-mari à l'hôpital, tout de même ?

— Je n'ai rien prétendu de tel, permettez-moi juste de m'étonner qu'il soit sorti de votre dernière entrevue sur une civière, amnésique, après un choc unanimement qualifié par les médecins « d'inhabituellement violent dans un cadre de vie ordinaire ».

— J'étais chez lui parce que nous avions des affaires à régler.

— Et c'est alors qu'il s'est jeté de toutes ses forces contre un mur, au point d'en perdre la mémoire… Nous vivons une époque terrible, chère madame. Les gens font n'importe quoi.

— Que sous-entendez-vous, inspecteur ?

— Rien. Je me pose seulement des questions. Rappelez-vous, c'est mon métier. Nous sommes en train de vérifier s'il n'avait pas souscrit une assurance-vie dont vous seriez restée bénéficiaire malgré votre divorce.

— Il n'est pas mort, que je sache.

— Il n'est pas passé loin.

— Vous enquêtez donc sur les cartes postales et les meurtres qui auraient potentiellement pu avoir lieu ? Pas étonnant que la police soit débordée.

— Qu'aviez-vous comme « affaire » à régler avec lui ?

— Au cas où vous l'auriez oublié, nous avons un fils, et bien que je le déplore, cela occasionne certaines décisions à prendre en commun, pour sa scolarité notamment.

— Ne vous en faites pas. Le jeune Ulysse, douze ans, dont les résultats scolaires ne sont d'ailleurs pas mauvais du tout, figure en bonne place sur mes écrans radar.

— Ne mêlez pas mon fils à cette histoire, s'il vous plaît.

— Je n'en ai pas l'intention. Si vous me dites ce que je veux savoir, je n'aurai pas à le convoquer.

Céline se raidit. L'idée que son garçon puisse se retrouver convoqué pour un interrogatoire la révulse. Elle argumente :

— Ce n'est pas ma faute si Martial avait pour habitude de se balader en chaussettes sur son parquet trop ciré — manie contre laquelle je me battais déjà lorsque nous vivions ensemble parce que cela donnait un mauvais exemple à notre fils.

— C'est parce qu'il se baladait en chaussettes que vous avez divorcé ?

— Votre remarque est déplacée. Si vous posez des questions, posez les bonnes.

— Vous avez raison. Donc je me demande pourquoi il a failli mourir après avoir reçu cette carte de menaces que vous n'avez pas envoyée mais qui vous a tant fait rire.

— Les accidents domestiques représentent 17 % des décès et 34 % des causes d'hospitalisation, cher monsieur. Rappelez-vous, c'est mon métier. Martial rentre parfaitement dans les statistiques.

— Il est surtout parfaitement rentré dans un montant de porte.

— Ce n'est pas très fin, mais c'est assez drôle.

— Vous ne souhaitez rien modifier dans votre déposition ?

— Absolument rien. Je vous le répète, j'étais venue lui rendre visite pour discuter, et pendant que j'étais dans le salon, j'ai entendu un terrible choc. Je me suis précipitée et je l'ai trouvé dans son couloir, étalé de tout son long, le visage en sang.

— Avouez que c'est étrange.

— Je n'ai rien à avouer. Que trouvez-vous « étrange » ?

— Vous qui êtes dans les assurances, si vous lisiez cette version des faits dans un rapport d'accident, y apporteriez-vous du crédit ?

Céline ne doit en aucun cas laisser deviner ce qu'elle pense. L'inspecteur sourit. Il vient de marquer un point.

— Bien que vous ne répondiez pas, je suis d'accord avec vous.

— Vous imaginez sérieusement que je l'ai frappé ? Avec quelle arme ?

— J'ai envisagé cet aspect, mais les cicatrices et contusions relevées sur le visage et le torse de M. Lamiot attestent que c'est bien l'impact contre la porte qui l'a terrassé.

— À la bonne heure, me voilà donc innocentée !

— D'une certaine façon, oui. Mais le fait est que vous ne l'aimiez plus, n'est-ce pas ?

— Bravo inspecteur, vous venez de découvrir la véritable cause du divorce.

— Je devine en vous des sentiments contradictoires, madame Haas. Vous clamez votre innocence, et pourtant je vous fais peur.

Céline bafouille. L'inspecteur plonge à nouveau son regard dans le sien. Elle déteste cela, mais elle est incapable de s'y soustraire.

— Comme lors de notre première rencontre, je suis prêt à parier que vous me cachez quelque chose. Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude…

— Plutôt que de vous acharner contre moi, vous feriez mieux d'orienter vos recherches vers celle ou celui qui l'a réellement menacé de mort.

— C'est vous qui étiez près de lui quand il a failli y passer. Vous savez, chère madame, je me suis renseigné sur votre ex-mari, et vous aviez raison sur un point.

— Il ne devrait pas courir en chaussettes sur des parquets cirés ?

— Non, mais il est effectivement impliqué dans plusieurs transactions immobilières frauduleuses.

— Il faudra lui en parler dès qu'il retrouvera ses esprits.

— Vous pouvez compter sur moi. Mais je ne vais pas vous lâcher pour autant. Car j'ai hâte d'apprendre pourquoi, alors que vous étiez tranquillement assise dans le salon, il se serait mis à sprinter dans son couloir pour aller se fracasser contre un chambranle.

Загрузка...