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… Ils raconteront plus tard qu’ils furent les derniers à voir Villon, que j’étais en haut de la colline et que ma robe, qui prenait le vent, s’envolait. Ils diront que je paraissais de plus en plus petit au fur et à mesure que leur monture avançait, que j’avais l’air de contempler une dernière fois la ligne des remparts de Paris, très au loin, et qu’ils m’ont vu ensuite me retourner vers le reste du monde immense. Ils rappelleront que la voix d’un oiseau chantait dans l’éclat du soleil de janvier, que la clarté du ciel rongeait mes contours et que j’ai commencé à descendre l’autre versant de la colline. Ils décrieront d’abord la disparition de mes pieds, de mes jambes derrière la crête puis de mon buste tout entier. Ils affirmeront qu’à un moment, il ne restait plus que la silhouette de mon malheureux crâne qui semblait flotter en l’air comme l’astre Saturne puis ils jureront la Pâques-Dieu qu’ils ont vu très nettement ma tête se dissoudre brutalement dans la lumière comme on entre dans l’éternité… et que, dès lors, personne n’eut plus jamais de nouvelles de moi.

VILLON (1431- ?)

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