39

« Dis donc, la ribaude, le printemps est la saison de l’amour… Si nous allions le faire au bois de Vincennes avec mes deux amis attablés, là ? » dis-je en avançant vers Tabarie et Dimenche qui n’en revient pas :

— Il est fou, lui !

Guy écarquille ses yeux comme des cloches d’église :

— Mais François, il paraît qu’elle peut faire des nœuds avec ses seins alors comment veux-tu que ?…

— Ô, ce serait le plus beau jour de ma vie ! s’exclame la Machecoue. Je lui demande :

— Et tu n’as rien contre qu’on y aille tous ensemble ?…

— Trois ouvriers font plus qu’un ! rigole-t-elle, de sa bouche affreuse.

Je frappe dans mes mains :

— Allez, allez, les gars ! Ne faites pas vos donzelles. Vous n’aurez qu’à fermer les yeux et croire qu’elle est Marion l’Idole !

— Ça ne va pas être facile…, soupire Dimenche en se levant quand même.

Par un dédale de ruelles malodorantes, nous allons jusqu’aux remparts puis, hors de Paris, traversons le village et les vignes de Montreuil. Mes deux compères traînent la patte sans enthousiasme tandis que, devant eux, je vais près de la Machecoue à qui je demande :

— Triste paillarde, on n’a jamais beaucoup parlé tous les deux. Quelle est ton histoire ?

— Pour une joie, mille douleurs…

Elle se dit née à Corbie — ville qu’elle aurait quittée il y a vingt ans. Elle a depuis été servante à Clermont, Beauvais et Senlis. À Senlis, placée chez un curé, celui-ci l’aurait faite entrer dans une maison close et ensuite conduite à Paris, rue Glatigny puis au bordel de Tiron où elle se prostitue depuis dix ans sans aucun succès.

— C’est Philippe qui m’a acheté cette nouvelle robe pour me consoler…

— Philippe ?

— Philippe Sermoise, mon abbé souteneur.

— Tu as un souteneur ? Il ne doit pas manger tous les jours à sa faim…

— Moi non plus.

Derrière, Dimenche Le Loup et Guy se marrent. Tabarie, plié de rire, manque de tomber à l’eau en franchissant une rivière. La Machecoue se retourne :

— Si tu te noies, ne me lègue ni ton cœur ni ton foie : j’aimerais mieux autre chose…

La fille de péché au bois de Vincennes ! Je crois que je me souviendrai toujours d’infimes détails : la douceur de l’air, le son lointain de la masse des tailleurs de pierre et du maillet des charpentiers.

— Retire ta robe.

Le cri des oiseaux dans le ciel, la fuite des bêtes des champs, le bruissement des feuillages et, sur l’herbe, des gouttes écarlates qui fleurissent. C’est bizarre et Satan doit rire. Ce premier jour de juin m’a tout saoulé. Le retour à Paris se fait en silence.

Je pousse la porte de la taverne flamboyante tandis que Dimenche et Guy parlent dehors. J’arrive devant Colin de Cayeux :

— Je pense que ce qui appartenait à la truie doit revenir de droit aux pourceaux !

Je jette devant lui, sur la table, un peu de billon :

— L’argent de sa robe que j’ai vendue au retour dans le village de Montreuil.

Tabarie arrive. Je pivote vers lui :

— Ben, et Dimenche ? Il n’entre pas ?

— Il m’a dit qu’il ne voulait plus jamais te revoir, que tu le dégoûtes.

Загрузка...