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Le lendemain, je suis si perdu que les gens que je croise ne me voient peut-être pas. Je n’ai plus le goût du jeu et du rire. De corps et de visage, je me trouve si bouleversé que j’ai l’air d’un fou. Je me tords les poings de douleur pour avoir tué et pris le bien d’habitants peut-être, aujourd’hui, ensevelis morts et froids. Las de cette écorcherie et plus noir que mûre, je vais seul à travers les labours. Poils brûlés à ma barbe et pelisse en peau de cerf portée sur le dos, je n’attaque plus que la chair des fruits cueillis aux haies, aux arbres. Mon destin — la désespérance d’un poète en haillons qui laissera à toutes les broussailles d’ici à Roussillon les lambeaux de son méchant vêtement. Je vais chercher ailleurs meilleure fortune. Celle que je connais mène au gibet ou en prison. Sur la route de mon malheur, il me faut planter en d’autres terres. J’achète dans une ferme du lard et du pain noir, m’assois sur le bord d’un talus, une araignée court sur mon bras. Comme accablé sous l’emprise de l’oubli, je m’engage tout seul dans une forêt sombre ne voulant plus qu’on me voie. La nuit, une chouette ulule. Et là-haut, la voûte céleste où la vue s’abîme. À la clarté de la lune, j’écris à la mine d’étain, je m’avoue tout entier. Sous un fourré, là-bas, des sources vives font un bruit d’assassins postés se concertant.

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