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Ma douce génitrice, accompagnée de deux sergents du Châtelet, me conduit avec un baluchon dans le quartier des universités, à Saint-Benoît-le-Bétourné.

C’est une église gothique flanquée à gauche d’un étal de boucher et, à droite, d’une potence donnant sur la rue Saint-Jacques. Nous y entrons par le côté. Un des deux sergents demande à un bedeau de le conduire au chanoine.

— Guillaume de Villon ? Il est dans le verger du cloître. Suivez-moi.

L’autre sergent nous garde sous les arcs brisés du plafond. Un chœur de cloches monte à l’adresse du Dieu d’amour. Le jour mystique d’un vitrail vient baiser le mur d’en face où un Christ, éperdu de bonté, écarte les bras tandis qu’une petite porte s’ouvre sur Guillaume de Villon qui arrive et dit :

— Me voilà. Dès que le sergent m’a parlé de cerises, j’ai su que c’était vous, fait-il en saluant ma mère. Ma pauvre fille, j’ai donc appris pour hier pendant la visite du roi… Et vous voudriez savoir si je pourrais m’occuper de votre fils, c’est ça ?

Ma mère, coiffée de son voile de paysanne, baisse la tête :

— Lui apprendre l’écriture, lui…

En surplis blanc par-dessus sa soutane, le chanoine aux joues rouges et rondes — à tête de cerise — tend ses amples manches brodées de dentelle vers ma mère qu’il attire dans le rayon d’un vitrail. Il l’enserre de ses bras dans un bain de lumière si blanc que les ombres sont roses et, par-dessus une épaule, s’adresse à l’un des sergents dont le casque brille près d’une colonne :

— Pourquoi une telle punition ?

— C’est une double récidiviste. Deux fois déjà on lui a coupé une…

— Je sais ! l’interrompt le chanoine à l’accent bourguignon. Mais il n’y a même jamais eu sang menu dans ce qu’on lui reproche ! C’est vous, sergent, qui me l’avez dit au verger. Bon… une fois, tirer deux harengs dans un baril de mille sur la place de Grève… puis, une deuxième fois, piper trois sous de tripes au baquet d’un boucher pour les fricasser à l’abreuvoir avec son mari affamé… Ces deux délits auraient pu être considérés comme suite de la nécessité en cette époque de désolation. Quant à hier, pourquoi ne veut-on pas l’entendre lorsqu’elle jure que c’est un malentendu ?

— Elle a été surprise in flagranti sur le territoire du chapitre de Notre-Dame et l’évêque d’Orléans y avait laissé des ordres.

— Ah, Thibaut d’Aussigny avec ses longues griffes d’acier aux pattes… Celui-là, moins on le croise…

L’ecclésiastique d’une quarantaine d’années desserre l’étreinte autour des épaules de ma douce mère et vient vers moi qu’il évalue d’un regard : « Un bien bel enfant, droit comme jonc… » Il me caresse le crâne : « On dirait qu’une fée est passée dans ces boucles blondes. Quel âge as-tu, François ? »

Ma mère s’attend à ce que je réponde, que je me montre sous mon meilleur jour, que je sois séduisant. Je n’y arrive pas. Elle dit :

— Il est né le jour où Jeanne fut brûlée et où son…

Elle ne peut pas continuer non plus. Le chanoine de Villon réfléchit en contemplant l’autel :

— J’ai l’habitude d’élever et d’héberger, très jeunes, de futurs clercs… Il sera mon apprenti comme si j’étais tailleur ou couvreur. Nourri, logé, je lui donnerai une éducation. Il apprendra le catéchisme, le latin, un peu d’arithmétique et la grammaire. En échange de quoi, il devra faire les courses, allumer le feu, chanter la messe. Devenu clerc tonsuré, il pourra poursuivre des études juridiques… et vous, madame, aurez fait un bon garçon que tout le monde citera en exemple.

— Pourvu que…

— Au moins pour cela, ne soyez pas inquiète. Dieu fera, sur ce front, neiger ses bénitiers. Avant de partir, voulez-vous que je ?…

— Oui, mon père.

Près d’un banc de pierre où je me pose avec mon petit baluchon, le chanoine l’entraîne dans un confessionnal dont elle tire le rideau sur elle :

— Je suis une Angevine illettrée et orpheline qui a fui les massacres et les pillages des campagnes pour se réfugier à Paris où j’ai rencontré le père de François. Nous espérions…

Je m’endors sur le banc de pierre… où vient me réveiller ma mère. Je me cramponne alors à elle et ma bouche plonge dans les plis de sa robe de laine feutrée. J’y inhale ses odeurs jusqu’au fond de mes poumons, de ma mémoire, de mon cœur, ne veux pas la lâcher. Les deux sergents aux armures métalliques luisantes la prennent par les épaules et la retirent à mon étreinte. Elle trace sur le front de son garçon un pauvre signe de croix pour le garder du mal… et sa main s’en va comme un voile.

Dites-moi où, en quel pays…

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