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Dans le verger du cloître de Saint-Benoît-le-Bétourné, le chanoine et le bedeau s’engueulent devant un jeune cerisier :

— Mais pourquoi le taillez-vous en décembre ? C’est au printemps qu’on élague les cerisiers ! s’indigne Gilles, vêtu d’une chape bleue. Et seulement tous les trois ou quatre ans ! Laissez-le pousser, cet arbre…

Mais maître Guillaume, en soutane, n’écoute rien. Alors que dix-huit coups ont déjà sonné aux cloches de la Sorbonne, de sa serpe, il tranche rageusement, depuis plus d’une heure, les extrémités des branches au pourtour de l’arbre. Le bedeau s’en offusque :

— Mais comment vous le taillez ? C’est le cœur du cerisier qu’il faut éclaircir pour que le soleil puisse y pénétrer.

— Qu’en savez-vous, Trassecaille ? Que je sache, Toulouse n’est pas la ville des cerises !

Devant tant de mauvaise foi, le bedeau à la bouille attachante lève les yeux au ciel et moi j’arrive, accompagné d’un camarade :

— Maître Guillaume, voici Guy Tabarie. Vous savez, mon ami qui habite chez sa mère aux Célestins… Nous montons dans ma chambre pour réviser l’astronomie. On s’intéresse à tout ce qui luit, accroché dans le ciel.

Le chanoine surpris examine celui qui m’accompagne. Il paraît sage, sa frimousse est coiffée d’une chevelure blonde coupée à la manière d’un gentil page. Maître Guillaume lui trouve un air catholique. On lui donnerait le bon Dieu sans confession. Le ruban jaune et bleu de sa faluche porte les mêmes couleurs que le mien, ce qui rassure mon tuteur :

— Pourquoi te tiens-tu le ventre, François ? Tu as mal ?

— Non, non, ça va. Ce sont les études…

« Bon, grommelle le chanoine. Alors allez-y et prenez au passage un bocal de confiture de cerises sur la table. » Nous nous éloignons tandis que maître Guillaume demande au bedeau :

— Pensez-vous que je sois trop sévère ? Ce matin, je l’ai traité de scélérat. Regardez, ça l’a rendu malade.

Devant le jeune cerisier en partie saccagé, il ne sait plus que faire de sa serpe : « Bon, vous avez dit au cœur… », soudain s’inquiète : « Trassecaille, n’avez-vous pas entendu un cliquetis sous sa robe ? Comme un bruit d’épée courte dans un fourreau… » Il se retourne, serpe à la main : « Il ne sort pas armé, au moins ?!… »

— Attention, vous allez blesser quelqu’un ! lui fait le bedeau. Et qu’allez-vous encore imaginer ? Calmez-vous à la fin plutôt que de vous angoisser continuellement pour rien.

— Pour rien…

— Mais oui, pour rien ! Regardez ça : une heure de retard, vous détruisez un arbre.

Le doux chanoine tend les bras vers une branche cassée qu’il tente de réparer. Avec trois doigts de chaque main, il soulève le bout qui pend, auriculaires et annulaires repliés et crispés dans les paumes.

— Ça ne s’arrange pas, vos doigts, soupire le bedeau. D’abord un et puis deux…

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