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Je, Michel Mouton… dois me faire discret. À pas de loup, en ce samedi matin, je reviens sur les lieux de l’incident d’hier soir, surveille les alentours, vérifie l’absence de sergents du Châtelet dans le coin avant d’oser pousser l’huis de la maison à l’enseigne de La Porte Rouge.

Maître Guillaume est seul, catastrophé dans son fauteuil gothique près de la cheminée éteinte. Il lève vers moi des yeux rougis qui ont beaucoup pleuré, constate le gros emplâtre d’onguent et d’argile verte séchée qui déforme, sur le côté, ma lèvre brûlante et tuméfiée. Il baisse les paupières, soupire :

— Quelle nuit ! Et puis, ce pauvre ami…

— Mais, dis-je avec de grandes difficultés pour articuler, vous ne connaissiez même pas le curé de Senlis…

Le chanoine relève vers moi son bon regard :

— Ce matin, on a retrouvé Gilles Trassecaille pendu à une poutre de sa chambre sous les combles.

Je m’assois sur le banc où se posait habituellement le bedeau… Mon tuteur continue d’une voix monocorde : « Il tournait en l’air devant sa fenêtre à la vitre en cuir et tenait à la main cette lettre », conclut-il, levant son menton vers une feuille de papier posée sur la table.

Maître Guillaume,

Je n’ai pas eu le courage de m’accuser de ce qui s’est passé hier dans le verger comme vous l’auriez fait. Je n’aurais donc pas pu croiser à nouveau votre regard et puis ce que j’ai appris juste avant est trop terrible… Je n’aurais su, ni comment vous le cacher, ni comment vous le dire. Que Dieu sauve François !

Gilles

J’entends des bruits de pas qui descendent du second étage de l’escalier puis découvre la soutane de ville violette d’un évêque frôlée par la robe noire d’un haut justicier du chapitre de Notre-Dame qui déclare :

— Un acte pareil, une nuit de la Fête-Dieu, c’est insulter le ciel…

Derrière eux, un notaire apostolique, dont je connais l’ouvroir à l’enseigne du Mortier d’Or, note sur son écritoire portable la décision de justice divine. Deux gardes ecclésiastiques apparaissent à leur tour — mais que de monde, là-haut ! Ils charrient, par les aisselles et les pieds, le corps nu déjà rassis et un peu gris du bedeau difforme qui ressemble à une statue d’église. Ils suivent les dignitaires dans la rue Saint-Jacques et tournent à gauche, ce qui m’étonne :

— Où vont-ils ?

— Le rependre au gibet de Saint-Benoît, soupire maître Guillaume.

— Ah oui, c’est vrai qu’en cette époque on exécute aussi les trépassés…

Le notaire apostolique, qui est resté avec nous, lit la sentence : « Sera décroché, conduit raide mort et derechef porté pendre. » Devant moi, par l’autre entrée, je vois des abbés lancer dans le verger des pétales de roses comme ils ont déjà dû en parsemer la galerie du cloître et le chœur de l’église pour purifier ce lieu saint du crime commis. Je sors, rue Saint-Jacques. Maître Guillaume se lève aussi et recouvre ses épaules d’une aumusse.

Là-bas, le gosier une seconde fois rétréci par le chanvre, à trois toises du sol, le cou tordu de Gilles impose à tout son corps raidi une inclinaison oblique originale qui lui donne un effet d’élan. Les mains croisées sur sa poitrine nue et grise, il est une bouleversante gargouille de pierre qui flotte dans le ciel où l’air répand un tiède parfum d’encens et de pétales écrasés.

Le chanoine sort sans un regard pour ce spectacle judiciaire et demande au notaire apostolique :

— Maître Ferrebouc, pourriez-vous nous accompagner avec votre matériel d’écriture et votre cire à cacheter ?

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