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Je pousse une porte rouge et tombe tout du long sur un carrelage orné d’animaux fabuleux où mon visage rebondit durement.

— François !

Le bois d’un fauteuil grince aussitôt puis c’est un feulement de tissu de soutane qui se précipite vers moi, se penche et m’envahit comme un voile : « François… » Plus maigre que Chimère parmi les personnages légendaires du dallage, mes hardes humides fument et sentent. Une voix venue de l’enfance appelle quelqu’un qui accourt : « Guillemette ! Guillemette !… Préparez vite des draps où coucher l’enfant, ceux taillés dans la fine étoffe de lin. Et, du coffre, tirez un oreiller ! Vous viendrez ensuite m’aider à le porter. » Les fleurs et les fruits embaument autour de moi dans cette salle à manger brune où se répand aussi un parfum d’église. Je reconnais l’odeur de cire de la longue table de noyer. Un poing tétanisé me caresse doucement le crâne. Chauve, maigre à faire peur, l’âme pourrie, je tousse comme un moribond dans les bras du chanoine qui n’en revient pas :

— Comme tu as changé…

Il m’a toujours dit ça. Je pourrais en rire mais je réponds :

— Mes jours s’en sont allés si vite.

Alité dans ma petite chambre au pavage en terre cuite vernissée, entre les effluves réconfortants d’un bol de tisane d’orge et ceux d’une écuelle en bois emplie de potage aux amandes, je reprends doucement mon souffle. Sous le duvet d’oie de l’édredon, je regarde devant moi ma table écritoire verte près de la fenêtre donnant sur la rue Saint-Jacques. L’autre fenêtre, à ma gauche, verse sur la quiétude du cloître Saint-Benoît. Les cloches de la Sorbonne sonnent. Je retrouve leurs sons clairs d’enclumes. Sur la plaque en marbre veiné de la petite cheminée, j’observe un berceau qu’enfant j’avais confectionné avec des arêtes de poisson et de la glu. En cette chambre pleine de l’ombre des souvenirs, je me rappelle ma première nuit ici à six ans. Depuis, ô quel rêve m’a saisi ?! Dans l’âtre, les chenets à tête d’ange retiennent des bûches de hêtres qui doucement crépitent. Je m’endors.

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