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Franck et Lucie ne prirent qu’une seule voiture pour aller au 36, le lendemain, aux alentours de 9 heures. Gueules en berne, idées noires. Lucie avait dû forcer sur le maquillage pour cacher sa nuit catastrophique. Vues, les photos prises par Sharko avec son téléphone. Vues, ces monstruosités peintes, ces visages en larmes, ces langues fourchues. Une véritable scène d’orgie, mais aussi de viol, de guerre, d’épouvante. Qu’avait cherché à raconter Ramirez à travers sa fresque ?

Tout au long du trajet, Franck n’avait cessé de marteler qu’ils devaient se surveiller l’un l’autre, se soutenir, faire bloc et, surtout, ne jamais prononcer le nom de Laëtitia Charlent. Oublier son visage. Elle était un de leurs points faibles. Une erreur, un lapsus, un mauvais réflexe, et ils couleraient tous les deux.

Mais comment oublier un tel visage ? Les diables se battaient aussi en Lucie. D’un côté, il fallait se taire, et de l’autre brûlait ce besoin de comprendre, de résoudre l’énigme, de retrouver la jeune femme, peut-être encore vivante. Parce que c’était son job, ses convictions. Parce que c’était dans son ADN de flic et que, si elle y parvenait, elle soulagerait peut-être sa conscience.

Leur bureau vibrait déjà de vie à leur arrivée. Comme à chaque nouvelle affaire, l’excitation dominait, les informations commençaient à tomber des différents services sollicités. Sharko comparait toujours les premiers jours à une partie de chasse : ils étaient la meute de chiens stimulés par les cors, qui s’élançait à la poursuite du gibier. À cette différence près que, cette fois, le gibier, c’étaient eux.

Il plaça à côté de son ordinateur une photo toute récente de ses fils. Lucie fit de même. Ils étaient leur shoot de cocaïne, leur pacte invisible, le gage de leur silence. Leurs enfants les aideraient à tenir.

— J’ai eu le retour ADN du bulbe des longs cheveux noirs trouvés dans le lit de Ramirez, fit Robillard. Ils sont bien féminins, mais on n’a rien dans le FNAEG[3]. La fille aux menottes n’a pas de visage et court toujours.

Soulagement en demi-teinte pour Sharko. On entrait, on sortait de la pièce, avec des documents à photocopier, des feuillets à aller chercher, des coups de fil à passer. Levallois avait repris son rôle de procédurier et était parti récolter les éléments dans la pièce avec la fresque. Franck observait à la dérobée chacun de ses coéquipiers qui répondait à un appel, consignait une information, toujours avec, boulonnée au ventre, cette peur du témoignage (« Je crois me souvenir qu’une jeune femme avait crevé un pneu devant chez ce type ») qui mettrait en péril leur avenir, à Lucie et lui.

Mais le véritable cauchemar débuta avec un appel reçu à 10 h 40. Lorsque Nicolas répondit au balisticien et discuta longuement, allant et venant, Sharko comprit sur-le-champ que ce qui le tracassait depuis le début — le sentiment d’avoir oublié un élément primordial cette nuit-là — était lié à cette histoire de douille. Tout avait été trop laborieux, trop complexe autour de ce maudit tube en étain.

Et quand Nicolas parla de gendarmerie, d’affaire en cours, et nota un numéro de téléphone, Franck sentit le sang quitter son visage. Il échangea un regard catastrophé avec Lucie.

Il ne s’agissait pas d’un oubli mais d’une erreur. Bénigne, grave ? Impossible de savoir pour le moment. Quoi qu’il en soit, grâce aux caractéristiques des munitions retrouvées — rayures, endroit de la percussion… — , on savait que le pistolet utilisé pour tuer Ramirez d’une balle dans la gorge avait servi dans deux autres affaires. La première était ancienne, un braquage dans une supérette.

L’autre concernait une affaire de meurtre.

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