Jacques rapporta une chaise et vint s’asseoir à côté de son collègue. Il étala les différentes impressions couleur des pièces jointes, issues des mails envoyés par les gendarmes. Lucie se tenait à côté d’eux, inquiète et silencieuse.
— Bon, c’est un peu compliqué, et après plus d’une heure d’entretien avec un gendarme qui n’a jamais dû mettre le nez en dehors de son bled, je vais essayer de vous expliquer au mieux. L’effraction a eu lieu à Frontenaud, village de huit cents âmes à une dizaine de bornes de Louhans. Elle concerne le domicile des Coulomb et a été constatée le 1er septembre au matin par le facteur.
Jacques montra une autre photo à Sharko, qui siffla entre ses dents.
— Sacrée baraque.
— Pas mal, oui. Ses propriétaires vivent et travaillent en Floride depuis trois ans, dans l’immobilier. Une fois l’effraction constatée, les gendarmes de Louhans ont appelé le père, qui est rentré en France deux jours plus tard.
Jacques écrasa son index sur le visage de la victime.
— Willy est le fils qui occupait en partie les lieux en l’absence de ses parents. Il est scénariste dans l’audiovisuel, il écrit de temps en temps des fictions pour la télé et développe des projets pour le cinéma. Un indépendant qui fait pas mal d’allées et venues entre la maison de Frontenaud et Paris, où il loue parfois un appartement pour quelques semaines ou alors réside à l’hôtel, suivant sa charge de travail et l’état d’avancement de ses projets. Mais, d’après le père, c’est vraiment cette maison de Bourgogne son point d’attache, là où il écrit ses histoires.
Levallois lisait ses notes.
— Concernant l’effraction, c’est simple : porte d’entrée forcée. Les voisins n’ont rien entendu. Selon toute vraisemblance, rien n’a été volé, juste de la paperasse retournée dans le bureau de Willy. Mais, d’après le père, le fils a toujours été bordélique, donc impossible de savoir si le cambrioleur a mis le nez dans ce bureau.
— Ramirez a torturé et tué dans le château d’eau, puis il a roulé et est entré dans cette maison pour y prendre quelque chose, forcément, fit Lucie.
— Autre fait étrange : tous les miroirs de la maison, sans exception, sont fendus sur leur longueur, selon la forme d’un éclair. Et toutes les ampoules ont été brisées, de la cave à l’étage.
Sharko parcourut une à une les impressions couleur. Les miroirs cassés, les ampoules en miettes… Il existait là un rapport évident avec la lumière. Il se rappelait le miroir dans la cave de Ramirez, abîmé lui aussi. Un lien avec le satanisme ? Il se focalisa sur les photos du bureau de Willy. Livres empilés, des feuilles dans tous les coins, une décoration surchargée d’affiches de films, de figurines. Il les tendait au fur et à mesure à sa compagne.
— Je ne vois pas d’ordinateur…
— Willy avait un ordinateur portable, d’après le père. Plus pratique quand t’es scénariste. Aux dires du facteur, rien n’indiquait la présence de Willy dans la maison les jours précédant l’effraction. La dernière fois qu’il l’avait vu remontait à plusieurs semaines. Courrier qui s’accumulait, pas de voiture dans le garage, poubelles vides.
Sharko songea au trajet de Ramirez, cette nuit-là. Il avait tracé la route après son meurtre. Suite aux aveux de sa victime, devait-il récupérer un objet, un document, l’ordinateur ?
— Bref, une fois de retour en France, le père a essayé de joindre son fils sur son téléphone, en vain. Il a géré la paperasse, fait changer la porte et il est reparti pour des obligations professionnelles.
— Reparti ? Sans nouvelles de son fils ?
— Willy ne donnait plus signe de vie depuis des mois et ne répondait presque plus aux messages de ses parents ou alors, parfois, avec beaucoup de retard. C’est pour ça que, sur le coup, le père ne s’est pas inquiété. Ç’aurait pu s’arrêter là, mais ce père a rappelé les gendarmes il y a une semaine pour savoir où ils en étaient dans leurs recherches sur Willy Coulomb. Là, gros malentendu : aucune plainte n’ayant été déposée pour disparition inquiétante de personnes, eh bien, les gendarmes…
— … n’avaient pas bougé le petit doigt.
— Bingo. Personne ne recherchait Willy. Et si le père s’est soudain alarmé, c’est parce qu’il venait de recevoir l’appel d’une certaine Juliette Delormaux, qui voulait elle-même savoir si ce père avait eu des nouvelles de Willy. Vous me suivez ?
Sharko se gratta la tempe droite, l’œil sur les gribouillis et les flèches sur le carnet de son collègue. Lucie acquiesça.
— À peu près. Pour résumer, une effraction, un fils qui habite la maison de ses parents mais pas toujours à cause de son boulot, une absence qui n’inquiète personne, tout au moins au début… Et cette Juliette, qui est-elle ?
— Une amie, une petite amie, je ne sais pas. Elle aurait connu Willy il y a longtemps lors d’un stage de formation au métier de réalisateur dans une école de cinéma de la Seine-Saint-Denis. Je n’en sais pas beaucoup plus.
Sharko écrasa son index sur un numéro de téléphone portable.
— C’est le numéro de la fille ?
Levallois confirma. Franck le récupéra puis fixa Lucie.
— Vois avec Manien, qu’il se charge de prévenir les gendarmes de Dijon sur l’identité du corps du château d’eau et alerte le père pour qu’il rentre en France. Et j’aimerais qu’on fasse fouiller son bureau de fond en comble. Tu peux suivre ça ?
— C’est comme si c’était fait.
— Parfait. Jacques, j’aimerais que tu te rencardes sur la boîte SM, le B&D Bar, c’est là que Mayeur et Ramirez se sont rencontrés et que ce… Willy Coulomb a pénétré le milieu des satanistes, je pense. Moi, je m’occupe de la fille.