La plupart des éléments de ce roman sont avérés et basés sur une solide documentation scientifique ou issus de rencontres faites au gré de mes recherches. Tout ce qui est décrit autour du sang — son histoire, ses maladies, le circuit du don, le bio-art et ses étranges peintures… — est vrai. En revanche, ne cherchez pas le koroba, les Banaru ou les Sorowai sur Internet ni ailleurs, vous ne les trouverez pas, ils sont pure fiction.
Pure fiction ? Pas tant que cela, toute réflexion faite. Mon cerveau de conteur d’aventures s’est juste appuyé sur les épopées peu communes de ces hommes aventureux qui, par leur courage, leur acharnement et leur goût de la découverte, font avancer l’humanité. La cruauté de mes personnages et de mon récit m’a fait tout naturellement m’éloigner d’eux.
Permettez-moi néanmoins de vous exposer, en deux pages, les faits exacts qui m’ont en partie inspiré.
En 1957, Michael Alpers, un étudiant en médecine australien, entendit parler d’une grave affection neurologique spécifique aux Fore, une tribu de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les anthropologues qui avaient voyagé dans ces contrées encore inconnues racontaient que les individus atteints tremblaient, riaient et perdaient l’équilibre. Cette maladie, bien vite baptisée le kuru, « la morte riante », était associée par les Fore au pouvoir des sorciers ennemis.
Alpers passa une bonne partie de sa vie auprès des Fore, à essayer de comprendre le mal qui les frappait eux, et seulement eux. Après des années, un autre aventurier le rejoignit, le virologue américain Daniel Carleton Gajdusek, seul autre chercheur décidé à cerner ce terrible mal. Les deux hommes découvrirent alors, pour la première fois, une maladie neurodégénérative transmissible d’humain à humain, que les indigènes contractaient en ingérant le cerveau de leurs défunts lors de leurs rites anthropophages.
Leur immense découverte fut publiée en 1966. Ils affirmèrent que le tout premier cas était apparu de façon spontanée et firent ensuite le rapprochement avec une maladie très rare, dont tout le monde se désintéressait à l’époque parce qu’il n’y avait eu que quelques cas recensés depuis sa découverte quarante ans plus tôt : la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Les deux hommes décidèrent alors de se pencher sur la MCJ : était-elle transmissible ? Comme ils l’avaient fait pour le kuru, ils injectèrent les cellules cérébrales d’une victime de Creutzfeldt-Jakob à des chimpanzés. Les singes contractèrent la maladie.
Ils prouvèrent ainsi le caractère transmissible de la MCJ. Daniel Carleton Gajdusek établit que le responsable n’était ni un virus connu ni une bactérie identifiée, et qu’il était mille fois plus petit qu’un agent pathogène classique. Il obtint le prix Nobel de médecine en 1976 pour la découverte d’un « virus non conventionnel ».
Plus tard, Stanley Ben Prusiner, un neurologue américain, mit un nom sur ce « virus non conventionnel » : le prion, qui n’avait rien d’un virus, en fait. Il décrivit ainsi le premier nouvel agent pathogène depuis un siècle et obtint le Nobel en 1997 pour ses travaux sur les prions.
Vingt-cinq ans après l’arrêt des pratiques cannibales imposé par le gouvernement australien, une trentaine de Fore déclaraient encore la maladie. De nos jours, un ou deux cas par an continuent à apparaître : des individus de 70, 80 ans qui, jeunes enfants, ont mangé des cerveaux malades. Cela prouve que les délais d’incubation du kuru peuvent être de plus de cinquante ans.
En 1985, une pratique cannibale moderne faisait trembler le monde entier : la maladie de la vache folle a été propagée par les fameuses farines animales, constituées, entre autres, de cerveaux broyés. Dix ans plus tard, on constatait que la maladie était passée à l’homme qui, en bon consommateur des vaches incubant la maladie, mangeait lui-même, en quelque sorte, les cellules cérébrales défectueuses. On l’appelait « la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ».
Depuis 1995, cent cinquante personnes l’ont contractée en Grande-Bretagne, après avoir avalé de la viande bovine infectée. Mais on soupçonne, à l’identique du kuru, des délais d’incubation pouvant atteindre cinquante, voire cent ans ! Combien de personnes sont réellement infectées et mourront sans que la maladie se déclare ? Qu’en est-il des dons — organes, sang, tissus — qu’ont pu faire ces personnes ?