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Nicolas avait l’impression de tenir une poignée de sable entre ses doigts. Plus il serrait le poing, plus les grains s’échappaient pour s’envoler dans le vent. Il se rapprochait assurément de la vérité, mais ne disposait toujours pas de l’ombre d’une preuve.

Que tenait-il de concret, en définitive ? Qu’Anatole Caudron était l’oncle de Lucie, qu’il s’était procuré le dossier de procédure pénale de Ramirez et qu’il l’avait surveillé. Que, d’après les propos enregistrés sur bande de Mélanie Mayeur lors de sa garde à vue, une femme était entrée au domicile de Ramirez la nuit du 20 septembre, probablement avec une clé, pour l’abattre d’une balle dans la gorge dans sa cave. Que la sinistre mise en scène avait probablement été orchestrée pour dissimuler le premier impact, celui du plafond. Que Sharko avait probablement rendu Jacques malade — avec un laxatif ou une substance dans le genre — pour gérer lui-même la scène de crime.

C’étaient tous ces probablement qui le dérangeaient. Mayeur pourrissait en enfer, Jacques n’était plus malade, pas une balle ne manquait dans le chargeur de Lucie, la douille notée sur le PV de constatation était de marque Luger et ne pouvait donc en aucun cas incriminer Sharko ou Henebelle. Sharko n’avait rien laissé au hasard, allant même jusqu’à interdire à la nounou de lui parler.

Et ça le rendait fou. Il voulait battre Sharko sur son terrain, il voulait une preuve : une clé avec une empreinte, un témoin fiable, des papiers, ou une solide révélation qui permettrait d’appuyer ses découvertes.

Et la révélation, il savait où l’obtenir. Régine Caudron, la femme d’Anatole. La tante de Lucie. Sans aucun doute le point faible de toute cette affaire. La mort de Ramirez avait eu lieu plus de deux mois après le décès du policier à la retraite. Donc, un fait avait forcément relancé l’investigation. La tante avait-elle découvert une nouvelle information, un indice dans les affaires de son mari ? Avait-elle mis la main sur la fameuse copie du dossier de procédure pénale ? Elle aurait alors contacté sa nièce pour qu’elle poursuive l’enquête commencée à la fin du printemps ? Le scénario était plus que plausible.

Nicolas se gara à cheval sur le trottoir et remonta l’allée fleurie qui menait au pavillon. En ce début de soirée, le quartier était calme, propre, le bon endroit pour couler des jours paisibles, à jardiner ou faire des barbecues sur la terrasse avec les enfants et les petits-enfants. Le flic savait qu’il n’aurait jamais droit à cette vie-là. Son existence à lui était bien trop branlante.

Il réajusta sa veste et sonna. Dix secondes plus tard, la porte s’ouvrit sur un visage plutôt rayonnant. Nicolas l’avait imaginée petite et grosse, elle se dressait, grande et élégante. La main serrée sur la paume de sa canne, elle resta dans l’embrasure.

— Je suis Nicolas Bellanger, capitaine de police au 36, quai des Orfèvres. J’aimerais vous poser quelques questions.

— Dans quel cadre ?

— La grosse enquête dont tout le monde parle. Julien Ramirez, Laëtitia Charlent, les treize corps découverts dans les Yvelines.

Elle rabattit un peu la porte, le visage fermé.

— Je peux voir votre carte de police ?

— Je l’ai laissée au bureau. Écoutez, ce ne sera pas long. On doit beaucoup à l’acharnement de votre mari dans cette enquête, c’est de ça que je veux vous parler.

— Mon mari est décédé, fichez-lui la paix. Revenez avec votre carte et un papier qui autorise ce genre de démarche. Sans ça, je ne répondrai à aucune de vos questions.

Elle poussa la porte, mais Nicolas réussit à glisser son pied dans l’entrebâillement.

— Bien sûr, j’aurais dû m’en douter. Ce sont eux qui vous ont demandé de dire ça et de m’empêcher d’entrer, n’est-ce pas ?

— Si vous n’ôtez pas immédiatement votre pied de là, j’appelle la police.

— Allez-y. Contactez votre nièce.

Les yeux bleus brillèrent une fraction de seconde, avant que Régine Caudron reprenne du poil de la bête. Elle se dirigea vers son téléphone et se mit à pianoter dessus.

— J’appelle la police.

Nicolas se recula, les deux mains en l’air.

— Ce n’est pas la peine, je pars. Mais je sais ce qui s’est passé.

Il s’attendait à une réaction, une faille dans laquelle il aurait pu s’engouffrer, mais elle revint en claudiquant et claqua la porte. Le flic entendit le bruit des verrous et vit le rideau d’une fenêtre bouger. Elle l’observait là, derrière, pour s’assurer qu’il dégage. La vieille chouette connaissait bien les lois. Sharko et Henebelle lui avaient dicté mot pour mot quoi faire : ne pas paniquer, ne répondre à aucune question et le mettre dehors. Mêmes instructions que pour la nounou.

Il alla dans sa voiture et attendit, vit l’ombre disparaître derrière le rideau. Elle les prévenait sans doute de sa présence. Alors il démarra dans un crissement de gomme, sans plus de piste ni de point d’entrée. Cette femme ne parlerait jamais.

Sur l’échiquier, Sharko avait été décidément le plus fort. Un redoutable joueur, mais ça, Nicolas l’avait toujours su. N’importe quel adversaire sensé aurait abandonné le combat, à deux coups du mat. Cependant Nicolas avait la folie d’un Bobby Fischer, il n’était plus sensé depuis longtemps. Et il savait que sa visite allait faire sortir Sharko de ses gonds, que le flic risquait de débarquer chez lui pour lui rappeler qu’il ne fallait pas toucher à sa famille.

Et, alors qu’il se remettait en route, lui vint une nouvelle idée, peut-être la plus lumineuse entre toutes.

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