Lucie avait pris un taxi pour couvrir les cinq kilomètres qui la séparaient de l’Océanopolis. Avant d’entrer dans le centre, elle longea la rade et observa la mer d’Iroise, cette étendue d’eau bien particulière qui séparait la Manche de l’océan Atlantique.
Des nuages s’arrachaient au ciel tourmenté comme l’écume à la mer, s’étiraient à la verticale et s’aplatissaient dessous, telles des enclumes géantes inversées. Elle était une fille de la côte d’Opale, née à Dunkerque, et perdre son regard au loin, dans ces immensités blanc et bleu, l’avait toujours apaisée, même dans les pires circonstances. Le sel, l’air marin, les rires mesquins des mouettes, il suffisait de s’asseoir là, au bord de la jetée, et de fermer les yeux. Elle éprouvait un besoin vital de s’évader.
La sonnerie de son téléphone la sortit de sa quiétude temporaire. Lucie regrettait parfois l’existence de ces appareils qui, paradoxalement, entravaient toute forme de communication. Sa tante l’appelait. Bon Dieu, qu’est-ce qu’elle voulait ? Elle hésita, et finit par répondre.
— J’ai vu à la télé ! Il paraît que vous avez découvert treize corps dans les Yvelines ? On parle d’un tueur qui serait mort après avoir enterré tous ces cadavres. C’est Ramirez, hein, Lucie ? Anatole ne s’était pas trompé, c’est de ce salopard qu’il est question ? Est-ce que vous avez retrouvé Laëtitia parmi les victimes ?
Lucie se redressa soudain et s’isola des promeneurs, le murmure aux lèvres.
— Tu ne dois pas parler de ça, tu ne dois pas prononcer ces mots ! Tu es seule, au moins ?
— Oui, oui, bien sûr, je suis chez moi. Dis-moi juste si vous…
La voix de Régine vibrait de panique, comme si Laëtitia était sa propre enfant. Lucie essaya de ne pas basculer dans l’hystérie à son tour. Elle devait à tout prix calmer sa tante.
— Écoute-moi bien. Tu n’aurais jamais dû m’appeler. Franck est venu te voir, il t’a bien expliqué qu’on ne devait plus être en contact ces jours-ci, qu’il ne devait plus être question de Ramirez. Tu as déjà oublié ?
— Non, mais…
— Je vais te le répéter : quand je suis entrée chez Ramirez avec la clé que tu m’avais donnée, il était déjà mort. Il a dû y avoir un règlement de comptes. J’ai fui sans rien dire à personne, parce que j’aurais eu des ennuis. Si tu parles de moi, de Laëtitia ou de Ramirez à quiconque, je suis fichue, tu comprends ça ?
— Mais tu n’as rien fait et…
— J’étais chez Ramirez de façon illégale, bon sang ! Je me suis retrouvée face à son corps et je n’ai pas prévenu la police ! J’enquête sur lui et je suis obligée de faire comme si je ne l’avais jamais vu ! Je ne peux pas parler non plus de Laëtitia ! Tu t’en rends compte ? Je suis en permanence sur le fil du rasoir.
Un long silence.
— Je ne veux plus jamais que tu parles de ça, à personne. Les noms de Ramirez ou de Laëtitia ne doivent jamais franchir le seuil de tes lèvres. Je vais devoir te laisser. C’est moi qui te contacterai désormais.
— Attends ! Lucie, attends. Dis-moi juste si Laëtitia faisait partie des corps. C’est tout ce que je te demande. Dis-moi juste ça.
Lucie comprit, à cet instant, qu’elle ne se sortirait jamais de ce cauchemar.
— Pour que t’ailles le répéter à la famille d’accueil dès que j’aurai raccroché ? Tu les vois plusieurs fois par semaine à l’association du Téléthon, tu… tu n’arriveras pas à tenir ta langue. Oublie Laëtitia, je t’en prie, ou c’est ta propre nièce que tu vas envoyer en prison.
Lucie coupa la conversation sans attendre de réponse, sur les nerfs, avec l’envie folle de hurler face à la mer, là, maintenant, de toutes ses forces. Elle s’emplit les poumons d’iode avant de se diriger vers l’Océanopolis. Il fallait continuer à mener l’enquête, coûte que coûte, histoire de s’occuper l’esprit, sinon elle allait devenir dingue.
Elle était devant le bâtiment quand un SMS de Nicolas arriva.
Je savais bien qu’on finirait par trouver. On sait où a eu lieu le premier tir, on était passés tout près tous les deux, quand on est retournés chez Ramirez ! L’impact Pébacasi est dans le plafond de la cave !