Mélanie Mayeur n’avait pas exigé d’avocat mais un médecin. Sharko et Nicolas patientaient devant l’une des cellules de garde à vue qui se situaient au bout de l’étage, à une dizaine de mètres de leurs bureaux. Franck observait en silence la jeune femme à travers la vitre en Plexiglas, blanche, maigre, un vrai cadavre. Les yeux fuyants, elle tremblait devant le médecin des urgences médico-judiciaires.
Nicolas dévisagea Sharko de haut en bas.
— Tu n’as pas ton costume des grandes occasions ? Je ne t’ai jamais connu sans pendant les GAV, quitte même à faire un détour par chez toi. Surtout que ta chemise est dégueulasse. C’est quoi ?
— Des pattes de chien. Tu ne me verras plus avec ce costume, les coutures du pantalon ont fini par craquer. Avec l’âge, on prend un peu de poids et pas forcément là où on voudrait. Mais ce n’est pas un mal, comme dit Lucie, il était vraiment trop vieux.
Nicolas acquiesça et fixa le médecin qui sortait.
— Je vais vous signer le certificat qui autorise la garde à vue. Physiquement, ce n’est pas la grande forme, mais elle tiendra. C’est au niveau psychologique qu’elle a l’air d’avoir des problèmes, cette jeune femme. À l’entendre, elle est sous antidépresseurs, et je veux bien la croire vu ses tremblements. Elle semble souffrir de surcroît d’anémie, ce qui lui a valu quelques séjours à l’hôpital. Je vais vérifier ça. Elle dit qu’elle n’a rien fait et qu’on doit la relâcher.
— Bien sûr. On va lui faire livrer des petits-fours et un peu de champagne.
— Restez vigilants. Si vous prolongez au-delà de vingt-quatre heures, je repasserai pour m’assurer que tout va bien.
Après le départ du médecin, Nicolas entra et l’empoigna avec fermeté par le bras.
— On va prendre bien soin de toi.
Il l’entraîna dans le bureau de Manien et l’écrasa manu militari sur une chaise. Franck le sentait à cran, les nerfs en pelote. Il referma la porte derrière eux et enclencha un enregistreur numérique.
— Tu sais pourquoi t’es là ?
La tête rentrée dans les épaules, elle la secoua sans desserrer les lèvres. Le poignet de sa main gauche était cerclé de croûtes brunes. À l’évidence, les stigmates des menottes à dents de piranhas.
— Je comprends, poursuivit Nicolas. Il y a tellement de sujets à aborder, tu te demandes pour lequel on t’a interpellée. Je te la fais compliquée : t’es en garde à vue dans le cadre d’une enquête diligentée en flagrant délit pour des faits d’homicide volontaire sur la personne de Julien Ramirez. Et maintenant, la version plus simple au cas où t’aurais pas tout compris : t’es dans la merde.
Il se mit à tourner autour d’elle. Doucement.
— On va procéder dans l’ordre. Au fait, en ce moment, un serrurier est en train de forcer la porte de ton appart avec l’un de mes collègues, le type qui ressemble à un bulldozer. S’il y a des choses à trouver, autant nous le dire avant qu’il retourne tout, non ?
Réaction de repli. Nicolas ouvrit un dossier sur le bureau et balança une série de photos dans sa direction. Il l’incita à bien regarder le cadavre de Ramirez. Elle détourna la tête, les larmes aux yeux.
— Je vois que tu le reconnais. Ton copain était dans un sale état. Balle dans la gorge, vingt et une plaies à l’intérieur desquelles voyageaient gaiement des sangsues. Un sacré cadeau dont on se passerait bien, nous, les flics. Tu peux peut-être nous expliquer ?
Long silence que les deux policiers décidèrent de ne pas rompre. L’interrogatoire devait trouver son rythme. Elle finit par parler au compte-gouttes.
— C’est horrible, mais… c’est pas moi… J’ai rien fait, je vous jure.
Nicolas s’accroupit devant elle et lui serra la mâchoire inférieure d’une main ferme, avec l’impression que les os allaient se broyer entre ses doigts comme une coquille d’œuf.
— Et c’est parce que t’as rien fait que tu t’es tirée dans l’abattoir ?
— J’aurais pas dû, je sais, mais… j’ai eu peur.
— C’est vrai qu’on a des têtes à faire peur, surtout mon collègue aux gros muscles, fit Sharko planté sur la gauche. On va la faire courte, cocotte. Que t’aies adopté dix chats qu’on a retrouvés enterrés dans le jardin de Ramirez, on va dire que c’est pas grave. Que tu t’amuses à brûler des cierges et vénérer Satan avec des pentacles et toutes ces conneries, pas de problème. Mais que tu sois chez ton copain la nuit où il se fait buter et que tu ne dises rien à personne, ça, c’est beaucoup plus problématique. On va réaliser un prélèvement ADN qui nous confirmera en moins de vingt-quatre heures que t’étais dans son pieu et que c’est avec toi qu’il a eu un rapport sexuel avant de passer l’arme à gauche. Tu l’as tué ?
Elle fixa les deux traces sombres au bas de la chemise de Sharko, avant de revenir aux yeux du policier.
— Non ! Jamais j’aurais fait ça !
— Si c’est pas toi, c’est qui ?
Sharko n’arrivait pas à l’imaginer autrement qu’en oisillon tombé de son nid. Sa blancheur de talc, ses tatouages sur les bras et à la base du cou — un petit cygne noir aux ailes déployées. Les bords de ses narines et la commissure de ses lèvres portaient les stigmates de piercings, qu’elle ôtait sans doute au travail pour éviter qu’un consommateur ne se casse une dent en croquant une saucisse. Il remarqua également des coupures au niveau des poignets et plus haut, sur les avant-bras. Volontaires ? Tentative de suicide ? Jeux pervers avec Ramirez ?
— Une femme. C’était une femme.
Franck eut l’impression qu’une grosse vanne venait de s’ouvrir sous ses jambes et qu’il se vidait de son sang comme les bêtes de l’abattoir. À ce moment précis, il avait envie de la prendre à la gorge et de serrer, serrer… Nicolas se redressa, geste contrebalancé par Sharko qui, lui, s’accroupit.
— Explique.
— Avec Julien, on était dans sa chambre, ce soir-là. Il m’avait attaché une main au lit, et avec l’autre… Enfin vous voyez, quoi…
— On croit deviner, oui.
— Il a entendu frapper une première fois à la porte d’entrée, il devait être dans les 22 h 30. Il est allé dans la salle de bains pour regarder par la fenêtre. Il a pas vu grand-chose, il faisait noir, mais visiblement, c’était une femme qui avait des problèmes avec sa voiture. Il a pas ouvert. Je me souviens qu’il a dit un truc du genre : « Fallait tomber en panne ailleurs, connasse. »
Franck essuya une goutte de sueur qui lui coulait dans l’œil. Il transpirait comme s’il passait sur le gril. Et Nicolas qui se tenait debout juste au-dessus de lui…
— Ensuite ?
— On a… On a continué, on a baisé. Puis… Puis… je sais pas, ça s’est passé peut-être cinq ou dix minutes plus tard. Quelqu’un est entré dans la maison par-devant. Julien, il a pris un flingue qui était caché dans un placard. Je savais pas qu’il… qu’il avait une arme chez lui.
Nicolas lui plaqua la photo d’un HK P30 devant les yeux.
— Ce genre d’arme ?
— Oui, peut-être, j’en sais rien du tout, il faisait noir, je vous dis. Il est descendu en silence. Il m’avait laissée attachée au lit, j’ai pas bougé, j’avais la frousse. Et puis… C’est là que j’ai entendu des cris. Ceux d’une femme. Peut-être celle qui avait frappé à la porte dix minutes plus tôt, j’sais pas. C’était… comme s’ils se battaient. Ensuite, il y a eu le coup de feu.
Elle resta figée, les yeux dans le vide, puis porta les mains à ses tempes. Le cœur de Sharko pompait si fort qu’il gonflait sa carotide. Et cette sueur, qui imbibait ses sourcils.
— J’ai réussi à récupérer la clé des menottes. Et je me suis tirée par la fenêtre avec les fringues dans les bras, j’ai même perdu une godasse. J’ai couru à travers les bois, longtemps. Puis… Puis j’ai rejoint la route et un automobiliste m’a ramenée chez moi. J’avais le pied et le poignet en sang… Ce type, j’ai encore sa carte, il m’a dit que je pouvais l’appeler en cas de besoin. La carte est dans mon appartement, vous pourrez vérifier. Je vous mens pas.
Elle fixa le sol, les deux mains sur le front, et garda le silence.
— Combien de coups de feu t’as entendus ? demanda Nicolas.
— Un… Un seul.
Le premier tir, le Pébacasi, songea le flic. Celui dont il cherchait désespérément l’impact.
— Tu sais d’où il provenait ? Salon ? Cuisine ? Cave ?
— Je… Je sais pas… J’avais jamais entendu de coup de feu de ma vie.
— À ton avis, qui a tiré ? La femme ou lui ?
— Elle. Pour la simple et bonne raison que Julien n’est jamais remonté dans la chambre. Moi, j’étais tétanisée, j’avais peur de bouger et de faire du bruit. J’ai dû mettre cinq ou dix minutes pour tirer le lit sans que ça grince, récupérer la clé et me défaire de ces fichues menottes.
— Cette femme, comment elle est entrée ?
— C’est ça que je comprends pas. Julien, il était plutôt du genre parano, il fermait toujours à double tour. J’ai pas entendu de bris de vitre. Cette femme, elle avait forcément la clé.
— Tu l’as vue ? Entendue ?
Elle secoua la tête.
— Non.
Sharko ne montra pas son soulagement et poursuivit le feu roulant de ses questions.
— Et qu’est-ce qu’elle a fait ensuite ?
— Je peux pas vous dire… Je crois pas qu’elle soit ressortie. Le dernier truc que j’ai entendu avant de me tirer, c’est une sonnerie de téléphone. Je me souviens de l’heure exacte, parce que j’avais le radio-réveil sous le nez : il était 22 h 57. Et cette sonnerie, c’était pas celle du portable de Julien.
Wagner, La Chevauchée des Walkyries, avait forcément résonné plein pot dans la maison de Ramirez. Tous les flics de l’étage connaissaient la sonnerie du portable de Lucie. Sharko se redressa dans une grimace et fixa Nicolas.
— J’ai une crampe.
Il ne mentait pas, son mollet lui brûlait, mais la douleur physique n’existait pas par rapport à ce qu’il ressentait à ce moment-là. Ça pouvait être la fin de son histoire, ici, maintenant. Celle de Lucie, de ses enfants. Il suffisait qu’elle évoque Wagner.
— Tu sues beaucoup, si tu te sens mal, tu peux sortir, proposa Nicolas.
Sharko alla s’asseoir sur le bord du bureau en boitillant, avec la sensation que son corps menaçait de tomber en morceaux. Il s’essuya le front avec la manche de sa chemise.
— Ça va passer.
Bellanger prit sa place devant la jeune femme.
— Une sonnerie, tu dis. Laquelle ?
— Je serais bien incapable de la citer exactement. Je me souviens de m’être dit que je l’avais déjà entendue quelque part, peut-être à la radio ou à la télé… en matant un film. Mais… c’est tout ce que je me rappelle, je n’ai même plus l’air en tête. Ça va peut-être me revenir.
Apocalypse Now, songea Sharko si fort qu’il eut l’impression que le monde entier pouvait l’entendre. Jamais le film n’avait aussi bien porté son nom. Cette crétine inculte ne savait plus, et sa mémoire défaillante venait de lui sauver temporairement la vie.
— Pourquoi t’as pas prévenu la police ?
— J’ai eu peur ! Peur des flics, peur qu’elle me retrouve et qu’elle me tue moi aussi ! Julien, je le connaissais pas vraiment, je savais pas dans quoi il trempait. On… On baisait de temps en temps, c’est tout.
— Tu baisais de temps en temps… Pour les chats enterrés, ceux-là mêmes que t’allais chercher à la SPA, t’étais peut-être pas au courant non plus ?
Silence, lèvres verrouillées. Elle renifla et frotta son nez du dos de la main sans répondre.
— Qui nous dit que tout ce que tu racontes est vrai ? Et si la femme, c’était toi ? Et si c’était toi qui l’avais descendu, et que t’avais tout mis en scène pour te disculper ?
— Jamais j’aurais fait une chose pareille. Jamais.
Nicolas lui plaqua les photos de la victime du château d’eau devant les yeux.
— Qui est-ce ?
Elle observa les clichés avec effroi. Des larmes coulaient sur ses joues.
— Je… Je sais pas…
Cette fois, elle se mit à pleurer franchement et, dès lors, les policiers ne parvinrent plus à lui arracher un mot. Nicolas lui apporta un verre d’eau, essayant de la sonder pour voir si elle ne simulait pas. Ils croisaient souvent d’excellents menteurs qu’il fallait un peu bousculer. Elle but par petites lampées, entre deux sanglots. Il fallut un bon quart d’heure pour qu’elle cesse de hoqueter. Le capitaine de police alla s’installer dans le fauteuil, de l’autre côté du bureau, tandis que Franck retrouvait sa position debout. Avec cette histoire de sonnerie, il venait de traverser l’un des pires moments de sa vie. Il laissa Nicolas mener l’interrogatoire.
— On ne veut pas te faire du mal, ce n’est pas le but. Ce qu’on cherche, c’est juste la vérité. Tu as tué Julien Ramirez ?
— Non !
— Revenons à ce meurtre dans le château d’eau… Pourquoi les tortures ? Pourquoi le type avec qui tu couchais a vidé cet homme de son sang dans ce lieu sordide ?
— Je sais pas, j’arrive pas à y croire… Tout ça, j’étais pas au courant. Julien, je le voyais que de temps en temps. Je sais bien, il y avait le truc avec les chats. Mais… c’est lui qui voulait que je les récupère à la SPA.
— Les sangsues, à quoi ça sert ?
Haussement d’épaules.
— Je sais pas…
D’un geste violent, Nicolas balaya un tas de paperasse sur le bureau de son chef. Les feuilles volèrent dans tous les sens.
— Tu sais jamais rien ! Je te garantis que tu vas arrêter de te foutre de notre gueule !
Nicolas pencha d’un coup sec la chaise de Mayeur et manqua de la faire tomber. Sharko posa une main sur le poignet de son collègue, il allait trop loin. Ils se dressaient comme deux cobras face à face. Bellanger se défit de l’étreinte et retourna devant la suspecte.
— Je répète : à quoi servent ces saletés de sangsues ?
Mayeur baissa les yeux.
— Je sais pas, je vous mens pas. Un jour, je suis descendue à la cave, même si Julien voulait pas que je vienne sans qu’il demande. J’entendais un chat miauler comme un bébé. Julien, je l’ai vu, il était en train de… de récolter quelque chose sur les sangsues qu’il décrochait du chat. Une espèce de liquide. C’était pas du sang. De la bave peut-être, j’en sais rien. Il enfermait ça dans des petits bocaux.
Nicolas ne daigna pas regarder Sharko, il resta concentré sur sa proie. Elle soupira.
— L’état de ce chat, vous auriez vu… Julien, il aimait bien faire souffrir. Quand… quand les chats étaient au bout du rouleau et n’avaient plus que la peau sur les os, il me faisait venir, il allumait des bougies partout, dans les escaliers, au sol. On… On les tuait, on… On invoquait le diable… On baisait avec les tripes autour de nous. Merde, je peux pas vous raconter tout ça. C’est trop personnel et…
Elle ne termina pas sa phrase. Posture de repli, dos en carapace de tortue, le silence. De nouveau, les pleurs. Nicolas lui redressa le visage d’une main sous le menton.
— « Pray Mev », ça te cause ?
— C’est le tatouage à son pied. Mais je sais pas ce que ça veut dire. Il a jamais voulu m’en parler.
Difficile de s’assurer de sa sincérité. Il lui montra d’autres photos, lui parla des éprouvettes, des larmes, du tableau, des treize victimes potentielles, de plusieurs « diables ». À qui appartenaient ces visages ? S’agissait-il de personnes disparues ? Elle continua à nier, à se recroqueviller. On lui demanda de montrer la plante de ses pieds.
Nicolas poussa les dossiers sur le côté d’un geste maîtrisé.
— Nous, on a tout notre temps. On va tout éplucher sur toi, on te connaîtra mieux que tu te connais toi-même. Et on finira par découvrir la vérité. Alors, autant que tu coopères. Plus vite ça ira, mieux ce sera pour toi comme pour nous.
Les questions se multiplièrent, de plus en plus pressantes, et vint le moment où elle se débattit en hurlant. Elle tremblait tant que les flics préférèrent relâcher la bride avant qu’elle sombre dans une crise de nerfs et se retrouve à l’hôpital. Nicolas stoppa l’enregistrement.
— Ça va, ça va. Bois un coup, respire. On va te ficher un peu la paix, d’accord ?
Dans le couloir, il garda un œil sur elle par la porte entrouverte.
— Qu’est-ce que t’en penses ?
— Ça ne va pas être simple, répliqua Sharko. Je n’ai pas l’impression qu’elle soit au courant des activités de Ramirez. Regarde-la. C’est qu’une gamine paumée sous emprise, comme la plupart des jeunes qui se retrouvent dans des cercles pour invoquer leurs conneries. Ramirez a dû profiter de ça, il l’a ramassée comme on ramasse un chat errant.
— Et sur sa culpabilité potentielle ?
— Ce n’est pas elle.
Sharko alla se chercher un verre d’eau à la bonbonne, la chemise trempée. Il jeta un œil à l’open space. Dieu merci, Lucie était rentrée chez eux. Il imaginait sa compagne, seule dans leur maison, en train de se morfondre. Il se demanda comment il allait lui annoncer le coup de la sonnerie de portable. Il retourna auprès de Nicolas et le sonda :
— Cette histoire de femme tueuse surgie au milieu de la nuit, qu’est-ce que t’en penses ?
— C’est très cohérent, et j’ai l’impression que ça éclaire un peu ce que le balisticien nous a raconté. Cette nuit-là, Ramirez, en plein acte sexuel, entend du bruit dans sa baraque, il descend avec son HK P30 mais il se fait buter par une autre arme. C’est le premier coup de feu. La balle Pébacasi appartenant à la femme lui traverse la gorge. Ramirez, raide mort. L’intruse positionne le corps au fond de la cave et vise Ramirez une seconde fois, mais en utilisant l’arme de ce dernier, le P30, pour masquer le premier tir. C’est la balle Tizicu. Puis vient la petite mise en scène avec les sangsues.
— Pourquoi un second tir ?
— J’en sais rien. Comme disait Lucie, pour faire croire à un meurtre sadique qui se serait déroulé intégralement à la cave ? Peut-être que cette femme est une « amie », une relation de Ramirez qui veut déguiser la mort et noyer le poisson ? Quelqu’un d’assez proche pour être en possession de sa clé d’entrée ? Bref, toujours est-il qu’en agissant ainsi, en utilisant l’arme de Ramirez, cette femme établit un lien involontaire avec la victime du château d’eau…
Sharko écoutait sans rien dire. Il détestait le voir réfléchir de cette façon, s’acharner…
— En tout cas, deux choses sont certaines, poursuivit Bellanger. La première : il doit forcément y avoir un autre impact dans la maison, qui correspond au tir avec l’arme de la femme. Demain, je demande qu’on renvoie des gardiens de la paix là-bas pour tout scruter à la loupe.
— C’est une perte de temps et d’énergie, Manien risque de bloquer. On a besoin de tous les hommes ici et…
— D’une, ce n’est pas Manien qui a le nez dans le cambouis, je me fous de ce qu’il pense. J’enverrai des hommes là-bas, point barre. Et de deux, la tueuse est quelqu’un qui s’y connaît suffisamment pour tenter de nous tromper, nous et les techniciens. On a affaire à une maligne. Mais ceux qui se croient plus malins que nous se plantent tôt ou tard, on finit par les coincer. C’est pas toi qui dis toujours ça ?
— Si, si…
Nicolas hocha le menton vers le bureau.
— Va aussi falloir la faire cracher. Où, comment a-t-elle connu Ramirez ? Les fréquentations, les trucs sataniques, le rapport au sang de Ramirez, tout. Pour le moment, elle est notre seul point d’entrée dans le monde complètement verrouillé de ce taré.
Nicolas jeta un œil à sa montre.
— L’autre va bientôt revenir de Dijon. Il tient à lui presser le jus. Je vais rester à ses côtés.
— Parfait. En ce qui me concerne, je dois faire un détour par la SPA avant que ça ferme. J’ai un chien à aller chercher.
Nicolas écarquilla les yeux.
— Un chien ? Celui qui a foutu en l’air ta chemise ? En ce moment ?
— Pourquoi, il y a un moment pour adopter un chien ?
— Non, mais…
— Ça fait longtemps que j’y pense. Ça fera plaisir aux mômes. Tu vas pouvoir te passer de moi cette nuit ? Avec le gamin qui a de la fièvre… Je me pointerai demain matin, à la première heure.
Nicolas planta une cigarette entre ses lèvres.
— Va falloir rebaptiser Jack. Je pensais à Pébacasi. Ça sonne féminin. Qu’est-ce que t’en penses ?
Franck lui tourna le dos et leva la main.
— Appelle-la comme tu veux. L’essentiel, c’est qu’on l’attrape.
— Franck ?
— Quoi ?
Nicolas serrait la poignée de porte du bureau de Manien.
— Ta réaction, tout à l’heure, je n’ai pas aimé. N’essaie plus jamais de m’empêcher de faire ce que j’ai à faire. Je sais mener un interrogatoire, et il n’y a pas si longtemps que ça, j’étais encore ton chef.
— Et encore avant, c’était moi, ton chef. Et n’oublie pas que t’es que numéro 2 du groupe.
Bellanger haussa les épaules.
— On s’en tape, de ces numéros.
— Peut-être, mais reste à ta place, ne la ramène pas, et un conseil : va ranger le bordel que t’as foutu dans le bureau de Manien si tu ne veux pas qu’il te vire pour de bon.