Il regarda l’entrée de la grange et hésita : fallait-il tout remettre en place et appeler les autres ? Descendre là-dessous auparavant ? Et si quelqu’un était retenu prisonnier au fond ? Une nouvelle victime à ajouter aux treize autres ? Mais vivante, celle-là ?
Il pouvait encore la sauver. Contre sa volonté, ses doigts agrippèrent les barreaux froids, et il descendit en silence, la lampe entre les dents, l’arme à la main.
Un sol bétonné et sec l’accueillit quatre ou cinq mètres plus bas. Face à lui, un passage voûté, en béton lui aussi. Il se laissa engloutir par cette bouche avide et pénétra dans une pièce hermétique envahie de nourriture : des montagnes de boîtes de conserve, des sacs de riz empilés, des paquets de pâtes par dizaines, d’innombrables bouteilles d’eau. Même un lit de camp et un lavabo. L’antichambre d’un abri antiatomique.
Son faisceau s’arrêta alors sur deux gros cartons barrés d’une croix rouge. L’un des deux, ouvert, laissait apparaître des poches de sang neuves et empilées, bien plus nombreuses ici que dans la cave de Ramirez. À proximité, une glacière vide et un réfrigérateur branché à une rallonge électrique, qu’il ouvrit. Dedans, quatre poches remplies de sang, placées les unes à côté des autres, et deux récipients pleins d’un liquide translucide et épais, arborant la mention : « Hirudine ».
Il se dirigea vers une porte métallique équipée d’un gros loquet. Il le tira sur la droite et déverrouilla, le pontet de l’arme dans l’alignement de son œil droit.
Ce qu’il découvrit alors le paralysa.
Deux silhouettes recroquevillées étaient enchaînées par la cheville aux angles opposés d’une salle carrelée en blanc, du sol au plafond, sauf à l’endroit pour les besoins — un trou vers les profondeurs. Nicolas songea à des revenants, avec leurs visages fins et transparents comme du papier-calque, leurs pommettes en carreau de flèche, la peau des bras, des jambes, marbrée d’aplats violacés ou jaunâtres, et criblée de traces d’aiguille le long des veines.
Sur une étagère inaccessible aux prisonnières, une aberration : des produits de beauté. Sur une autre, un tensiomètre, des seringues emballées, des antibiotiques, des compléments alimentaires et tout un tas d’ampoules : vitamine C, A, huile de foie de morue, fer…
Les deux femmes se mirent à crier et se réfugièrent dans leur coin, les yeux plissés comme si elles s’apprêtaient à être battues. Qui étaient-elles ? Depuis quand les retenait-on enfermées ? Des semaines ? Des mois ?
— Je suis de la police. Je vais vous aider.
On aurait dit qu’elles ne l’entendaient pas. Il s’approcha, se trouva surpris par l’odeur de leur peau, elles sentaient bon. Malgré les conditions de leur détention, on prenait soin d’elles. Il observa les cadenas maintenant l’arceau aux chevilles.
— La clé ? Où est la clé ?
Il se défit des mains qui l’agrippaient désormais et fouilla sur l’étagère, en vain. Impossible d’utiliser son arme sans risquer de les blesser avec le ricochet de la balle. Il fallait sortir d’ici, tout remettre en place et prévenir l’équipe. L’une des deux se jeta encore sur lui et lui attrapa la cheville. Elle l’implorait de toutes ses forces de ne pas l’abandonner. Nicolas s’accroupit pour se libérer de l’étreinte.
— Je vais revenir, je vous le promets. Mais il faut que j’appelle des renforts.
Les deux femmes hurlaient pour qu’il revienne. Il remonta l’échelle en quatrième vitesse, se hissa au bord du trou puis se trouva face à une paire de grosses chaussures, au bout renforcé d’une coque en métal. Une main puissante le saisit par le blouson et le tira sur le sol. La plaque métallique de la rangers vint lui frapper la pommette gauche.
Et tout devint noir.