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La SPA de Gennevilliers, la plus importante de France, était comprimée entre les rails du RER d’un côté et de vieux entrepôts de l’autre. Face à Sharko et Pascal Robillard, un long bâtiment blanc avec de grandes vitres à l’étage, sur lequel on lisait, en lettres bleues massives : « SPA REFUGE GRAMMONT ». Et à leur droite, les enclos, le grillage, sur plusieurs rangées et des dizaines de mètres. Odeurs de poils et de détresse. Les chiens les scrutaient avec toute la misère du monde, oreilles basses. Et ces aboiements permanents, dramatiques, de vrais appels au secours. Franck ne supportait pas cette souffrance animale, les lâches qui abandonnaient leurs compagnons au premier coup dur ou parce que l’hôtel où ils allaient en vacances n’acceptait pas les chiens.

Les deux policiers se dirigèrent vers l’accueil. Partout sur les murs, des portraits de chats, de chiens, avec la mention « Adopté », comme une fierté. Franck trouva un employé et demanda à parler à la personne qui s’était chargée de l’adoption de deux chats dont il fournit les tatouages. Lorsqu’on lui en réclama la raison, il montra sa carte de police sans un mot.

L’homme pianota derrière son ordinateur.

— Combien vous êtes à travailler ici ? demanda Robillard.

— Trente salariés, deux vétérinaires et beaucoup de bénévoles. Voilà, j’ai votre réponse. C’est Géraldine Topin qui s’est occupée de ces chats. Vous la trouverez dans le « quartier Milou » à cette heure. Petite, blonde, la trentaine. Elle nettoie les enclos.

Blonde… ça ne cadrait pas avec les cheveux noirs trouvés dans le lit. Soulagement pour Sharko, qui remercia l’homme. Les flics s’enfoncèrent entre les rangées d’enclos.

— « Quartier Milou ». Non mais je rêve, fit Robillard.

« Quartier Idefix », « Rintintin »… Et « Milou », enfin. Les chiens s’agitaient, glissaient leur truffe entre les barreaux, fiers prétendants en parade. Cockers, labradors, bergers… Les uns se dressaient comme des animaux de cirque, les autres levaient une patte arrière pour impressionner, ce qui ne laissa pas le cœur de Sharko insensible. Des chiens avaient toujours égayé la maison dans sa jeunesse. Il aimait leur indéfectible fidélité.

Une femme correspondant à la description sortait d’un enclos, un seau dans la main, une pelle dans l’autre, des gants en plastique jusqu’aux coudes. Elle leva ses yeux vers les deux hommes, les gratifia d’un pâle bonjour et se rendit vers l’enclos voisin. Ils la talonnèrent. Robillard prit les devants :

— On peut discuter deux secondes ?

— C’est pour quoi ? Je suis pressée et…

Lorsqu’il montra sa carte, elle lui tourna le dos et déverrouilla l’enclos derrière lequel aboyait un jeune épagneul au museau roux et blanc. Elle entra, referma et câlina l’animal avec tendresse.

— Encore des histoires de trafic, c’est ça ?

Sharko attendit qu’elle soit en face de lui pour la sonder. Le visage en poire, les yeux clairs et volontaires. Et une forme d’innocence dans ses gestes envers le chien.

— Julien Ramirez, vous connaissez ?

— Non, désolée. Jamais entendu parler.

Le flic ouvrit la porte, tandis que son collègue musculeux demeurait en retrait. L’animal se jeta sur lui, le gratifia de deux belles traces sombres qui s’imprimèrent sur le bas de sa chemise propre. Franck le caressa tout de même, il aimait les épagneuls, et le jeune animal l’arrosait d’affection.

— Dix chats noirs, refourgués à la même personne, ça vous parle un peu plus ?

— Dix ? Jamais de la vie je ferais une chose pareille, sauf si elle s’appelle Brigitte Bardot.

Pascal serra sa grosse main sur la poignée de porte, mais resta toujours dehors, ce qui amusa brièvement Sharko. La grosse bête avait peur de la petite…

— Écoutez, on n’est pas là pour rien, madame. Et on n’a pas beaucoup de temps à perdre, nous non plus. Vous avez fourni un type qui s’appelle Ramirez, avec dix chats noirs en l’espace de plusieurs mois. Un sataniste, avide de rituels sanglants… Qu’est-ce que vous connaissez de lui ? Comment s’est faite votre rencontre ?

— Un sataniste ? Des rituels ? Mon Dieu, mais qu’est-ce que vous racontez ? (Elle posa son seau.) J’ai bien eu une personne venue à plusieurs reprises pour des chats noirs, deux ou trois fois… Oui, trois fois, je crois, mais jamais dix !

Elle semblait sincère, et Sharko se heurta à l’évidence : soucieux de ne pas attirer l’attention, Ramirez ne s’était pas approvisionné dans une seule SPA.

— Quelle raison il a invoquée pour adopter trois chats d’affilée ?

— « Elle ». C’était une femme.

Sharko écarta le chien, sous le coup de la révélation, et lança un regard furtif à son collègue.

— Parlez-moi d’elle.

— Une jeune, la vingtaine, je dirais. Cheveux et maquillage noir, rouge à lèvres noir, chaussures noires avec des semelles énormes. Une gothique, quoi. Elle disait adorer les chats noirs. Elle avait l’air très gentille… Mon Dieu, des sacrifices, vous dites ?

Sharko, accroupi pour caresser le chien revenu à l’assaut, y voyait plus clair. Ramirez et la fille partageaient peut-être le même délire. Satan, les sacrifices. Il devait la retrouver. Savoir ce qu’elle avait vu et entendu, la nuit de la mort de Ramirez. Le flic avançait sur un terrain marécageux. Rencontrer cette fille, c’était quitte ou double. Comment réagirait-il si elle savait quelque chose ? Si elle le reconnaissait, lui ou sa voix ? Et Robillard, qui lui collait à la peau comme une tique.

— Elle vous a laissé ses coordonnées, je suppose ?

— Oui, bien sûr. Une pièce d’identité et un justificatif de domicile sont obligatoires.

Cinq minutes plus tard, les flics détenaient un nom et une adresse : Mélanie Mayeur, Vanves.

Avant de partir, Sharko pointa un index vers l’épagneul.

— Ce chien… Je passerai le rechercher en fin de journée. Je le prends.

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