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Lucie resta figée, incapable de réaliser ce qu’elle venait d’entendre. Elle dut s’y prendre à plusieurs reprises pour brandir son Sig Sauer. Du pouce, elle ôta la sécurité et fit remonter une balle dans la chambre. Le poids de l’arme entre ses mains ne la rassura pas assez. Sans doute avait-elle commis la pire des absurdités en pénétrant seule chez ce malade. Personne ne savait où elle se trouvait. Pas même Franck.

Un nouveau pas, et son pied gauche chassa soudain droit devant, dérapant sur une marche. Lucie bascula à la renverse et dévala cinq marches sur les fesses sans lâcher son pistolet. Elle gémit, se redressa dans une grimace. Dieu merci, rien de cassé, juste une douleur au coude gauche, qui avait amorti le choc. Ses gants et son pantalon luisaient de cire. Comme les marches. Ce taré de Ramirez avait dû y brûler des bougies en quantité, pas possible autrement.

Lucie descendit les quatre dernières marches, sa torche de fortune à l’affût. Une première pièce devant elle, comme un sas, qu’encombraient une grosse chaudière, diverses cages à oiseaux vides et un ballon d’eau.

Le hurlement se renouvela, mi-humain, mi-animal. Il provenait du fond de la cave. L’imagination de Lucie tournait à plein régime. Elle serra son Sig à deux mains, lampe collée au canon. Garder une concentration maximale.

L’autre pièce. Immense. Les balayages lumineux saccadés révélèrent au sol un capharnaüm inimaginable. Des outils, du mobilier, des bouteilles vides par centaines, des bâches bleues transparentes, du grillage, des palettes de bois, des boîtes de conserve éventrées. Posé contre un mur, un miroir fendu sur toute sa longueur, comme frappé par la foudre. S’entassaient également de gros sacs de matériaux de construction. Le soupirail, qui donnait vraisemblablement sur l’extérieur, avait été occulté par du tissu cloué au mur. Ramirez avait tout fait pour chasser la lumière.

Pour atteindre le drap noir qui pendait du plafond et séparait la pièce en deux, elle progressa sur la mer d’objets du mieux qu’elle put, en équilibre instable. Du verre, du plastique, du bois craquaient sous ses semelles. Elle écarta le tissu et poussa un cri. À dix centimètres de son visage pendait une cage, maintenue au plafond par une chaîne. Entre les barreaux, un animal gisait — il fallut plusieurs secondes à Lucie pour reconnaître un chat. La bête, intégralement rasée, tremblait, recroquevillée dans un coin de la cage. Ses grands yeux translucides brillaient comme des lucioles en réponse au faisceau lumineux. De gros aplats noirs et luisants semblaient se mouvoir sur sa peau. Lucie s’approcha.

Des sangsues, plus longues qu’une main pour la plupart. Vrillées dans la chair. Le chat succombait sous leur poids. Il émit de nouveau ce long cri semblable à celui d’un nourrisson.

La lieutenant de police réprima un haut-le-cœur. Chez quel fichu taré avait-elle mis les pieds ? Elle essaya de se contrôler. Les cris du chat étaient-ils les bruits dont son oncle parlait dans ses notes ? Elle brûlait d’envie de prendre l’animal et de l’emporter. Impossible, tout devait rester intact. Elle chassa ses sentiments. Laëtitia, il fallait penser à Laëtitia. Dénicher les traces de sa présence pour agir en conséquence.

Elle progressa encore, scrutant les recoins encombrés. Des dizaines d’autres sangsues grouillaient dans un aquarium aménagé sur un établi. Ramirez avait reproduit un environnement naturel — l’eau, les rochers, la vase — pour permettre à ces bestioles de prospérer. À côté de l’aquarium, des scalpels, des pinces, des éprouvettes, des poches en plastique vides. À quelles sordides expériences se livrait Ramirez ? Des meubles s’adossaient contre les murs, peut-être existait-il une cache secrète où il pouvait maintenir une personne enfermée ?

— Il y a quelqu’un ? Je suis de la police. Répondez !

Pas de réponse. Elle insista, car elle savait combien une fille terrorisée, dominée par son kidnappeur, se noierait en pleurs dans le silence. Elle longea les murs, tapa du poing contre les parois, chercha des failles dans les briques, mais le temps filait. Dans moins de quarante minutes, Sharko serait à la maison. Il fallait déjà déguerpir. Elle convaincrait ses collègues, en parlerait à Franck, reviendrait ici de façon légale, cette fois. Vu ses connaissances sur le bagage psychiatrique de Ramirez — son rapport au sang, le satanisme —, vu aussi la présence du chat torturé, des scalpels, du matériel chirurgical, il fallait fouiller la maison de fond en comble.

L’animal se lamenta encore, ses yeux éteints imploraient Lucie de lui venir en aide. Sur son dos, sur son ventre, l’abdomen des sangsues était gonflé, au point qu’elles paraissaient près d’exploser. Ces saletés vidaient le chat de sa substance.

— Je reviendrai, je te le promets.

Faire demi-tour lui arracha le cœur. Elle emprunta le même chemin que quelques minutes plus tôt afin de déranger le moins de choses possible. Si Ramirez était maniaque, s’il connaissait avec précision l’emplacement des objets, facile de deviner une visite.

Lucie regagnait à peine le sas qu’un coup violent au plexus lui coupa le souffle. Deux bras agressifs la propulsèrent vers l’arrière. Dans un cri, elle finit sa chute sur des bâches, tandis que sa lampe torche disparaissait plus loin.

Noir.

Elle voulut se redresser, mais Ramirez la percuta de nouveau, replia une des bâches au-dessus d’elle et l’écrasa sur son visage. Lucie expulsa un long souffle rauque. Elle puisa du bout des lèvres les derniers centilitres d’air avant d’être incapable de respirer. Le faisceau réapparut, dans le fourbi, orienté vers le plafond. À califourchon au-dessus d’elle, l’homme appliquait fermement d’une main le plastique pour l’étouffer. De l’autre, il serrait le canon d’une arme contre son front.

— Je vais te finir, salope !

Il posa l’arme sur le côté et préféra accentuer son emprise avec la bâche. Plus jouissif. Lucie vit la bouche tordue de l’individu presque collée à la sienne, et les tendons affleurant sous la peau de son cou, tant il pressait. Elle se débattit comme un insecte englué dans une toile d’araignée. Le nuage de buée qu’elle expira lui brouilla la vue.

Les forces commençaient à lui manquer, et les visages se mettaient à défiler sous ses paupières comprimées. Franck, Jules, Adrien, sa mère…

Elle allait crever, ici, au fond de cette cave sordide.

Quitter ce monde de la plus absurde et de la pire des façons.

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