Le trouble

Cette fois j'ai bien failli me faire surprendre !

À cause de l'orage, j'entendais difficilement la conversation entre maman et Marie. Je devais tendre l'oreille, me concentrer, la tempe plaquée contre la porte. Et je n'ai perçu le sifflement des pneus du fauteuil roulant qu'au tout dernier moment... J'ai juste eu le temps de déguerpir ; je pense néanmoins que maman a eu un petit doute !

Je m'en suis rendu compte quand elle est entrée dans la cuisine. Je m'étais plongé la tête dans le réfrigérateur pour faire croire que je cherchais le lait. Je déteste être pris en faute ; je perds rapidement mes moyens et suis persuadé qu'on doit découvrir mon trouble rien qu'à mon regard.

Maman ne m'a rien dit, mais elle m'épiait du coin de l'œil ; je sentais qu'elle réfléchissait à mon propos. J'ai mis le lait dans une casserole, allumé le gaz et commencé de me préparer des tartines.

Maman ne bougeait toujours pas. Le silence était pesant et me mettait mal à l'aise. Je devinais qu'une question lui brûlait les lèvres, du style : « Tu nous espionnes, maintenant, Marie et moi ? »

De mon côté, mille interrogations me tournaient dans la tête : « Qui est ce Raphaël Sormand que maman a accusé d'être la cause de sa paralysie ? Quel est cet “autre” que Marie déteste au point de changer de voix quand elle l'évoque ? De quel passé parlaient-elles ? »

La situation était étrange : moi, de mon côté, à m'affairer pour préparer mon quatre-heures ; maman du sien, sur le seuil de la cuisine, le visage contrarié et inquiet.

J'ai été le premier à rompre le silence, faisant comme si, justement, je n'avais rien appris.

– Alors, cette demi-journée aux Sorbiers ? ai-je demandé.

– J'essaie de prendre mes marques, a répondu maman en souriant. Je pense que je m'y plairai.

Elle mentait, naturellement.

– J'en suis certain, ai-je dit.

Je mentais aussi, persuadé qu'elle en avait conscience.

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