Les disparus

– Dans cette pièce ! leur a dit Alexandra.

– En es-tu certaine ? a demandé Martin.

– Je l'entends... Dans mon esprit ! Mélisse m'appelle...

– Dans votre esprit ? a repris Seignolles.

– Puisqu'elle te le dit..., l'a tancé Souad.

– Mais tu vois bien, a repris Martin, ce n'est qu'une buanderie ! Il n'y a aucune autre porte...

– Elle est derrière ce mur... Là ! Et... Mon Dieu !

– Quoi ?

– Avec elle... Tout autour d'elle...

– Quoi ? a répété Martin en criant presque.

– Il y a la mort !

– Il doit exister une issue dissimulée... Cherchez, bon sang, cherchez partout ! Allumez votre lampe-torche, Luc ! Fouillez-moi le moindre recoin de cette foutue pièce...

– L'armoire métallique ! a proposé Souad.

– Oui... Venez m'aider ; nous allons la déplacer.

Ils s'y sont mis à trois. Souad, Martin et Seignolles, leurs efforts conjugués, ont poussé le meuble et fait apparaître la porte blindée. De son fauteuil, Alexandra les a regardés faire, la voix de Mélisse crissant à la surface de son cerveau.

– Plus vite ! Plus vite !

En un réflexe vain, Souad a frappé contre le métal. « C'est à pleurer. Si près du but... »

– Comment l'ouvrir ? s'est emporté Martin. Voyez, cette porte ne possède pas de serrure.

– Commandant ! a lancé Seignolles. Regardez sur le mur, à votre droite. Un clavier...

– Qu'est-ce que cela peut bien me foutre ! On n'a pas le temps de trouver la combinaison ! Mieux vaut tenter d'enfoncer la porte !

– Laissez-moi faire, leur a dit Souad en sortant un couteau suisse d'une poche de son jean. Éclaire-moi, Luc.

Souad a dévissé les quatre vis maintenant le couvercle du boîtier pour libérer un réseau de fille électriques qu'elle a observés durant quelques secondes en suivant leur trajet de l'index. Puis, d'un coup sec, elle a tranché deux câbles.

– C'est fait, commandant ! a-t-elle affirmé. Il n'y a plus qu'à pousser la porte.

Martin a avancé la main. La porte a bougé...

– Par quel prodige as-tu pu... ? s'est étonné Seignolles.

– T'occupe ! Je te ferai un cours plus tard.

Et ils sont entrés.

Seignolles balaie du faisceau de sa torche la petite salle de soins saccagée lors du combat de Mélisse contre Virgile. En avançant, le gendarme écrase une seringue. Craquement du verre. Et bref cri aigu de chat apeuré dans son dos... Il se retourne, abaisse le faisceau de sa lampe.

Ils la voient tous. Ils voient Mélisse, tel un minuscule animal écorché, réfugiée sous une paillasse, dans l'angle de deux murs, ses cuisses ramenées contre sa poitrine, le menton sur ses genoux osseux, ses bras enserrant ses jambes squelettiques. Et ses grands yeux qui brillent de folie dans la lumière blanche de la torche ; ses yeux qui s'accrochent désespérément à ceux d'Alexandra, qu'elle reconnaît. Qu'elle attendait !

– Mélisse, ma pauvre petite, dit Alexandra tout bas, en s'approchant d'elle. Que t'ont fait ces monstres ?

– C'est effroyable ! souffle Souad en découvrant la table recouverte de son alèse et les sangles de cuir. Commandant, vous pensez que... ?

– Oui, Souad, je crois qu'on peut imaginer le pire.

« Cette odeur... Un affreux mélange d'urine, de produits chimiques et de chlore ! »

– Une seconde porte...

Martin a sorti son arme de son étui. Il a l'impression que c'est la première fois qu'il accomplit ce geste. « La mort, a dit Alexandra... En tout cas, si la mort a une odeur, c'est bien celle-là ! »

Tandis qu'Alexandra s'évertue à apprivoiser Mélisse qui ne se décide pas à s'extraire de sa niche, Martin, suivi de Seignolles et de Souad, passe la deuxième porte comme s'il franchissait une frontière interdite pour pénétrer en territoire hostile.

C'est d'abord une vision fugace arrachée aux ténèbres par le pinceau de la torche de Seignolles. Six lits disposés en deux rangées de trois. Des formes décharnées sous les draps, tels des morts enveloppés dans leurs suaires. Chaque lit est équipé de deux perches soutenant des poches emplies d'un liquide verdâtre qui glisse dans des tuyaux translucides en direction des bras des gisants.

Enfin, les yeux s'habituant à l'obscurité, la scène se précise dans toute son horreur. Sur cinq des lits sont attachés quatre hommes et une femme, le visage décharné, les orbites sombres, la bouche grande ouverte, de la bave brillant sur leur menton. Certains râlent comme des mourants, d'autres gémissent à l'instar d'animaux pris au piège. Car ce ne sont plus que des bêtes prisonnières, alimentées par cet épais liquide glauque et fluorescent.

– Où sommes-nous, Martin ? ne cesse de demander Souad, les larmes aux yeux. Où sommes-nous ?

Elle n'a que cette question affolée aux lèvres, tandis qu'elle s'avance dans la travée, son regard allant d'un lit à l'autre.

Seignolles a trouvé un interrupteur. Il presse le bouton et un éclairage cru jaillit d'une barre de néon fixée au plafond, arrachant aussitôt des plaintes et des cris aux malades.

– Éteignez vite, ordonne Martin ; ils ne supportent pas la lumière. Du moins pas si forte... Là-bas, ce lampadaire...

Le gendarme se rend près du luminaire qu'il actionne avec une légère appréhension, mais il est vite rassuré par la lueur rougeâtre qu'il diffuse bientôt. Cette fois, les malades ne manifestent aucune réaction.

Souad a entrepris de défaire les liens des prisonniers, tandis que Martin téléphone à la réception pour demander l'intervention de médecins et d'aides-soignants.

Seignolles fait quelques pas. Il reconnaît Quentin Lebrun, le visage émacié, rongé de peur, le regard éperdu, qui pousse un cri d'effroi à son approche.

– Je vous en prie, lui murmure-t-il en refoulant ses larmes, ne craignez rien... Je suis de la police. Votre supplice est fini.

Pourtant le jeune homme se remet à hurler. Son rugissement de panique emplit la salle aux murs capitonnés, coupée du reste des Sorbiers. Un espace d'épouvante flottant entre deux mondes...

Le premier médecin à avoir répondu à l'appel Martin est le docteur Mottier, un gros homme d'une cinquantaine d'années qui dissimule un goître sous une épaisse barbe noire.

Martin, qui observe ses réactions à son entrée, comprend qu'il ignore l'existence de cette salle. Mottier a porté une main à son front et ses jambes épaisses ont fléchi ; Martin lui a pris le bras, pensant qu'il allait s'évanouir.

– Seigneur ! fait Mottier en se ressaisissant. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Ces pauvres gens sont en train de crever ! Et ce liquide qui s'écoule dans leurs veines ?

Son professionnalisme l'emportant sur son émotion, il se rue sur le premier lit pour examiner la femme qui émet de courtes et gutturales lamentations.

Seignolles rejoint Martin alors que de nouveaux médecins et infirmiers envahissent la salle, chacun manifestant à sa manière son effarement.

Le gendarme pose une main sur l'épaule Martin et l'y laisse, lourde et amicale. La main d'un cadet éperdu qui cherche du réconfort.

– Les disparus..., dit Seignolles. Nous les avons retrouvés ! Mais que sont-ils devenus ? Qui sont-ils ?

– Ce sont des voyageurs en transit, Luc... Ceux que ce fumier de Vals tentait d'expédier dans le deuxième monde !

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