Le cheval de Troie

Le silence règne dans la voiture. « À quoi bon parler ? » songe Seignolles, au volant. Martin paraît d'une humeur massacrante ; il se retient manifestement de fumer, ce qui contribue à le rendre encore plus maussade. Souad s'est murée dans un mutisme hostile, sans raison apparente, une moue boudeuse accrochée aux lèvres. Cela amuse Seignolles. Non parce que l'ambiance est lourde, plutôt parce qu'il devine intuitivement les questions qui les préoccupent l'un et l'autre...

Quant à lui, il ne cesse de penser à la femme dans son fauteuil de paralytique... Et à Martin assis sur le banc, face à elle, la tête rentrée dans les épaules. « Ces deux-là se sont aimés, c'est certain ! Ils avaient tout de deux anciens amants qui se retrouvent au bout d'une éternité... Par hasard. Mais le hasard, justement, a emprunté aujourd'hui le chemin du cimetière où l'on a enterré Estelle. Et ça, se dit Seignolles, c'est un petit mystère de plus à ajouter à la fiche Martin, lequel déteste Sormand qu'il a forcément connu dans le passé. Par contre, il éprouve de l'affection pour Claudia... J'aimerais bien savoir ce que nous cache ce flic parisien. Drôle de hasard, en effet, quand un enquêteur est lié à certains protagonistes de l'affaire sur laquelle il travaille ! Cette femme infirme, je l'ai déjà vue quelque part... J'en suis quasiment sûr. Mais où, quand ? Une belle femme d'une quarantaine d'années à peine... Avec de beaux yeux gris-vert que j'ai eu le temps de remarquer lorsqu'elle a fait pivoter son fauteuil... Mais, bon Dieu, où ai-je rencontré cette femme ? »

Cela lui reviendra. Il est ainsi, Seignolles, opiniâtre, persévérant. Il remise l'image de la femme inconnue dans un recoin de sa mémoire ; elle ressortira d'elle-même avec la solution... Demain... Un jour... Il est ainsi, patient.

Un coup d'œil dans le rétroviseur lui permet d'entrevoir Souad qui regarde distraitement par la vitre. Il aime bien cette fille. « Peut-être pour son côté masculin, s'avoue-t-il. Androgyne... » Et elle a du cran, de l'énergie et une intelligence très affûtée qui lui donne une longueur d'avance sur lui en tous domaines. À côté d'elle, il se fait l'effet d'être un gros balourd. Néanmoins, elle a beau rouler des épaules et des hanches, marcher comme un mec et vous planter son regard sombre droit dans les yeux, elle ne parvient pas à dissimuler une certaine fragilité, comme si, à chaque instant, pour une raison inconnue, elle allait craquer et se mettre à chialer. Cela lui avait paru évident, dans la grotte, lorsqu'ils s'étaient rendus dans la salle où gisait Estelle... Elle tremblait presque et faisait des efforts pour se contrôler. Elle n'avait qu'une envie, semblait-il, c'était de fuir à toutes jambes !

« Par contre, a remarqué Seignolles, la jolie petite Souad en pince un peu pour le Parisien ! Et ce, depuis peu... Elle n'arrête pas de le regarder, de l'observer à la dérobée, gourmande d'admiration. Et de jouer la fière quand il pose les yeux sur elle... Ce genre de situation n'est pas idéale pour mener à bien une enquête. Vous parlez d'une équipe : un Martin secret comme une tombe qui protège ses mystères, une Souad avec le cerveau d'Einstein et les fesses de Tom Cruise, et moi... un Luc qui devra bien leur dire un jour qui il est réellement ! »

Martin sort de son silence pour aboyer :

– Mettez le gyro, Luc, on se traîne !

– À vos ordres, chef.

– Et appuyez sur l'accélérateur !

Les voitures s'écartent aussitôt sur leur passage et ils regagnent le commissariat en quelques minutes. À son grand regret, Seignolles n'obtient aucun remerciement de la part Martin qui bondit hors du véhicule sans proférer un mot.

Souad et Seignolles lui emboîtent le pas, la jeune femme murmurant presque :

– Tu crois que c'est l'enterrement de la gamine qui l'a mis dans cet état ?

– Je pense qu'on nous a envoyé de Paris le prototype parfait du cyclothymique à tendance neurasthénique ! Plus sérieusement, je crains que ce gars ne soit pas très clair...

– Une impression ?

– Un faisceau de minuscules indices... Je t'expliquerai. Pour l'heure, on va avoir droit à la séance du tableau noir. J'espère que tu as révisé tes leçons.

En effet, dès que Martin a pénétré dans la salle d'enquête, il se dirige droit vers le tableau, prend la craie, et, sans attendre que ses deux collègues soient prêts, commence d'une voix de dogue :

– Du nouveau ?

– Oui ! répond Souad en s'approchant avec quelques documents à la main. Sacrément, même ! Le sang du cerf est bien celui qui a servi à peindre le signe sur le dos d'Estelle. Le labo est formel. Je vous passe les détails... Si vous voulez jeter un coup d'œil sur les rapports...

– Hématocrites et tout le bazar, c'est votre rayon, Souad ! lance Martin. Je note juste le résultat. La suite ?

– Je pense que l'ablation des bois a un sens, dit Seignolles en exhibant son carnet. Voici ce que j'ai trouvé sur Internet à propos de la symbolique du cerf... Depuis le iiie siècle, il est considéré comme, je cite : « le symbole du domaine obscur de la force vitale, de la croissance cyclique en relation avec le ciel et la lumière. Par la chute et la repousse de ses bois, qui croissent avec une rapidité végétale, la nature affirme que sa force intense n'est qu'une perpétuelle résurrection, que tout doit mourir en elle et que pourtant rien ne peut cesser ». Ce qui signifie que l'abscission représente probablement un défi lancé à la nature. Comme si on voulait prouver à celle-ci qu'on peut contrôler sa puissance.

– Heureusement qu'Internet existe, raille Martin en affichant une moue dubitative.

Seignolles reprend sur un ton d'excuse :

– J'imagine que vous ne croyez pas à cette hypothèse, mais...

– Non, le coupe Martin plus sévèrement qu'il ne l'aurait souhaité.

Vexé, Seignolles ne laisse cependant rien paraître. À quoi bon ? Pour avoir supporté le caractère de chien de son père, il sait que ce genre de comportement est souvent propre aux personnes malheureuses. Après un temps, il revient à la charge :

– Mais aucune secte recensée n'utilise, non plus, le signe gravé dans la grotte. Vous ne l'aviez jamais vu auparavant. Et pourtant il existe !

– Je l'admets, avoue Martin en se déridant légèrement.

Il se concède à lui-même, et de bonne grâce, que le tempérament de Seignolles lui plaît. Un obstiné qui lui rappelle ce qu'il était au début de sa carrière... Avant que des monceaux de cadavres ne viennent recouvrir ses illusions. Femmes enceintes éventrées, enfants mutilés, familles immolées par le feu... Crucifiés... Pendus... Égorgés... Et les innombrables symboles sectaires tracés sur les murs, les lits, les plafonds... au sang, à la chaux, à la merde ! Des croix, des cercles, des pentagrammes, des signes du zodiaque...

C'est d'un ton plus calme qu'il dit :

– Je reste pourtant convaincu que ce que nous avons vu dans la grotte n'était qu'une mise en scène agencée pour nous duper et nous lancer sur une fausse piste.

Puis, regagnant son bureau où il s'assoit, il ajoute :

– Il nous reste à savoir qui l'a orchestrée, et pourquoi.

Alors que Seignolles replie son carnet, Souad, sourire aux lèvres, une fesse sur le coin de son bureau, lance une petite banderille d'un ton désinvolte :

– Et si vous vous trompiez, chef ? Si ce n'était pas une mise en scène... S'il s'était réellement déroulé un certain rituel... Si un groupe croyait à la magie... Si la petite avait cherché à se mettre en transe...

– Si... Si..., répète Martin, piqué au vif. Si quoi ?

« Elle ne peut pas savoir, bien sûr ! Cela n'aurait pas dû se dérouler ainsi... le cercle de pierres et de bougies... Comment leur faire comprendre à tous les deux que je piétine les traces de mon passé, mais que tout est néanmoins différent ? Tout est déformé ! Quelqu'un a placé un calque sur les événements qui se sont déroulés il y a dix-sept ans... Mais ce calque est aussi grossier qu'incomplet ! »

– C'est possible..., se décide-t-il à lâcher. Dans ce cas, quelle est votre hypothèse ?

Souad est prise de court ; elle ne s'attendait pas à ce que Martin baisse la garde aussi rapidement. Elle prend un peu de temps pour répondre, se reprochant intérieurement de laisser paraître son trouble. « C'est ce foutu rock qui m'a rendue midinette ! Voilà que, face à lui, je perds les commandes ! »

– Mon avis... c'est qu'on peut mettre un temps fou à retrouver Cédric. Soit il est coupable et il s'est évaporé dans la nature... Soit il est innocent et, dans ce cas, le mystère de sa disparition reste entier. A-t-il été témoin du drame ? S'est-il enfui et a-t-il dévissé ? Nous récupérerons alors son cadavre par hasard au pied d'une falaise... A-t-il été tué par d'éventuels complices ?

« Cet air de rock ne me quitte pas et me rend stupide ! Et lui, il en profite ; il me dévisage en souriant... Le salaud ! »

– Ce ne sont que des questions, Souad, reproche Martin. Des « si »... Toujours des « si » !

Souad doit se ressaisir. Elle se lance :

– Eh bien, entrons de plein pied dans le concret, chef : nous avons retrouvé une substance toxique dans le sang d'Estelle, celle-ci fréquentait la même université que Cédric avec lequel elle entretenait sans doute une liaison amoureuse, Estelle est la fille du professeur Sormand, Cédric est l'un de ses élèves admiratifs... Ajoutons que nous savons maintenant que Gwen est la maîtresse de Sormand et dirigeait les travaux de Cédric... Tout nous conduit à resserrer notre enquête sur l'université !

Seignolles, qui se rend à la machine à café, siffle d'admiration.

– Pas mal raisonné ! Moi, j'adhère complètement à ce point de vue. Il est vrai que tous les fille que nous avons sortis de la pelote semblent converger vers l'université.

Souad et Seignolles attendent les réactions de leur supérieur. À leur surprise, ce dernier leur offre un large sourire. Un sourire comme ils ne lui en ont jamais vu sur les lèvres depuis qu'ils le connaissent. Même ses yeux sourient, tout pétillants d'une malice surprenante. Il donne le sentiment d'avoir eu une idée rayonnante.

– Moi aussi j'y adhère, se contente-t-il cependant de dire.

– Au moins, voilà qui est laconique, remarque Seignolles.

Puis, sans qu'aucun des deux autres ne s'y attende, Martin se lève subitement et décroche son blouson de la patère.

– Tu... Vous nous lâchez ? s'étonne Souad.

Martin est déjà à la porte. Il se retourne et, toujours tout sourire :

– Eh bien, quoi ! Pourquoi me lancez-vous ces yeux-là, tous les deux ? Suivez-moi, Souad ! J'ai rendez-vous avec le juge d'instruction ; vous allez m'accompagner. Vous verrez : si vous ne l'avez jamais vécue, c'est l'occasion de subir une épreuve édifiante. Quant à vous, Luc, amusez-vous autant que vous voulez avec cette superbe machine à café, mais prenez tout de même un peu de temps pour réfléchir à la suite des événements... Car nous allons en effet concentrer notre attention sur l'université.

– De quelle manière ?

– Méditez l'histoire du cheval de Troie ! dit Martin en refermant la porte sur Souad et sur lui.

Parvenu au véhicule de service, Martin se met d'autorité au volant et actionne immédiatement le gyrophare.

– Vous savez, lui fait remarquer Souad, qu'on ne doit l'utiliser que dans les cas d'extrême urgence. J'ai l'impression que cela vous amuse de faire de la lumière et beaucoup de bruit : vous aimiez les manèges, quand vous étiez môme ?

Martin démarre, s'extrait du créneau en deux rapides mouvements de volant, et se propulse au milieu de la circulation, précédé par sa sirène.

– Tout devient urgent en ce moment... Le juge m'attendait à midi ; nous sommes déjà en retard. Et c'est vrai, j'éprouve un sentiment de puissance qui ravit mon côté mâle dominant, quand les ploucs s'écartent sur mon passage !

– Vous vous fichez de moi, là ?

– Écoute, Souad... Lorsque nous sommes seuls, nous pourrions nous tutoyer. Tout à l'heure, tu as bien failli le faire.

– Nous nous sommes contentés de danser ensemble une seule fois, Martin !

– Comme tu voudras.

Il ne leur faut pas plus d'un quart d'heure pour atteindre le palais de justice.

– Vous... Tu me reprochais de conduire vite ! remarque Souad en sortant du véhicule. Mais je n'ai rien à t'envier ! Par contre, moi, je ne prends jamais autant de risques en ville !

Martin n'a même pas entendu ou a ignoré volontairement la réflexion, il file déjà, blouson sur l'épaule, traversant la grande cour d'honneur au pas de course.

Le juge Barrot les reçoit immédiatement, son visage poupin tout renfrogné d'avoir attendu. Comme au premier jour où Martin l'a rencontré, le magistrat est habillé avec un soin excessif, portant un costume remarquablement taillé qui parvient à dissimuler au mieux son embonpoint. Chaussures italiennes trop pointues. Cravate moirée. Les cheveux plaqués en arrière, délicatement mais visiblement teints.

Avant même de les inviter à s'asseoir, il lance d'un ton hautain :

– Alors, où en sommes-nous ? J'espère que vous m'apportez des informations... Cette affaire est en train de prendre de l'importance et de dépasser le cadre régional, comme vous avez pu le constater. Hier soir, le journal de la Deux a ouvert sur ce sujet ! La presse a débarqué en masse ; mes services sont débordés par les appels téléphoniques. Et moi, que puis-je annoncer ? S'agit-il d'un crime sectaire, passionnel ou tout simplement d'une séance de spiritisme qui aurait mal tourné ?

Martin a décidé de prendre son temps pour répondre. Il s'assoit d'abord, pose son blouson sur ses cuisses, d'un coup de menton invite Souad à choisir le siège à sa droite, et enfin, la voix basse, ralentissant volontairement son débit, il dit :

– Monsieur le juge, je vous présente mon adjointe, Souad Boukhrane...

Le juge Barrot, qui a pris place derrière son imposant bureau, accorde un regard distrait à la jeune femme.

– Je sais... Nous nous sommes déjà vus devant la grotte. Donc ?

Souad note la brève crispation des mâchoires Martin qui se force pourtant à sourire. Un rictus, plutôt. Un trait étiré des lèvres qui creuse une profonde fossette dans chaque joue.

– Monsieur le juge, nous sommes dans une situation délicate..., commence Martin.

– Délicate, en effet.

La jeune femme s'amuse intérieurement. À chaque fois que son supérieur donne du monsieur le juge à Barrot, c'est un peu comme s'il l'injuriait.

Martin poursuit :

– Il ne vous a pas échappé, monsieur le juge, que la personnalité même du père de la victime attire les médias. Le professeur Sormand a toujours focalisé la presse sur lui...

– La presse scientifique essentiellement, le coupe le juge. À cause de certaines de ses théories.

Ignorant l'intervention de Barrot, Martin reprend :

– La victime étant la fille de ce physicien réputé – quoique souvent controversé –, nous ne devons pas feindre d'être surpris que le public s'intéresse à cette enquête. Et c'est là, monsieur le juge, que la situation devient délicate, du moins en ce qui nous concerne, mon équipe et moi.

– Et pourquoi, mon Dieu ? s'étonne Barrot en se penchant sur son bureau comme s'il cherchait à recueillir une révélation d'une importance capitale, les yeux ronds, la bouche ouverte en cul de poule.

La voix Martin se fait d'un coup plus dure, mordante :

– Ce ne sont ni l'opinion publique, ni les médias, ni les politiques qui imposent le rythme d'une enquête, monsieur le juge !

Barrot se rejette en arrière, toussote et, s'adoucissant :

– Je suis désolé d'être aussi impatient, commandant. Je suis persuadé que vous faites tout votre possible, mais...

– Au vu des éléments dont nous disposons, tranche brusquement Martin, tout laisse accroire qu'un groupe d'illuminés a recherché le grand frisson au cours d'une séance mystico-chamanique qui aurait viré au drame. Estelle Maincourt-Sormand n'a subi aucune violence sexuelle. Son corps ne portait pas la moindre marque de blessure.

Le juge étale ses mains bien à plat sur son bureau, se redresse, semble réfléchir et dit :

– Dans ce cas, vous pensez que le reste de la bande se trouverait parmi les camarades de la victime et du présumé suspect ?

– C'est un peu cela, confirme Martin. Comme nous allons sûrement consacrer beaucoup de temps à chercher l'ami d'Estelle, Cédric Tessier, je crois qu'il serait judicieux d'enquêter dans le milieu où évoluaient la victime et le supposé coupable, autrement dit à l'université... À ce propos, je souhaiterais vous demander l'autorisation d'infiltrer celle-ci.

– Si je comprends bien votre intention, souligne le juge, vous comptez faire passer pour un nouvel élève un jeune enquêteur : c'est cela, n'est-ce pas ?

– Une enquêtrice, précise Martin, lançant un clin d'œil à Souad.

La jeune femme bondit sur son siège. « Le cheval de Troie ! La voilà, son idée lumineuse... Et c'est moi qui la lui ai soufflée ! C'est pourquoi il souriait aussi crânement dans le bureau, tout à l'heure ! Il avait déjà concocté son plan... »

– C'est une excellente idée, concède le juge, mais si j'ordonne cette infiltration, comment allons-nous nous y prendre ? Nous devons mettre le président de l'université dans la confidence et choisir une personne ayant un aspect suffisamment juvénile pour donner le change. Quelqu'un qui soit capable d'assimiler rapidement toutes les informations que vous avez récoltées jusqu'à présent... Beaucoup de qualités à réunir en une seule tête ! Une jeune femme, dites-vous ?

– Eh bien, répond Martin sans regarder Souad, ma collaboratrice, ici présente, s'est portée immédiatement volontaire pour accomplir cette mission. Comme vous pouvez le constater, elle paraît très jeune et possède déjà le look adéquat ! De plus, au risque de la gêner, je peux vous affirmer qu'elle est fort brillante, qu'elle est experte en physique-chimie et qu'elle brûle d'envie d'aller sur le terrain !

Cette fois, le juge porte une attention plus soutenue à Souad qu'il dévisage et qu'il évalue comme ferait un amateur d'art devant un antique tanagra récemment mis sur le marché.

– Puisque votre collaboratrice est d'accord, je n'y vois aucun inconvénient. Il ne nous reste plus qu'à remplir un peu de paperasse, solliciter la signature du président, et mademoiselle reprend ses études !

Il est le seul à rire. Martin ne bronche pas. Souad se demande déjà comment elle rendra à ce dernier la monnaie de sa pièce.

– Affaire réglée ! fait le juge en se levant et en tendant la main à Souad. Félicitations, mademoiselle. Puis, saluant Martin : Bien joué, commandant, vous m'avez donné de quoi faire patienter le procureur. Merci !

Martin serre la main molle et humide de Barrot. « Une main qui ressemble à un poisson mort ! »

À peine les deux policiers sont-ils sortis du palais de justice que Souad explose :

– Vous auriez quand même pu me prévenir, non ? Pour qui me prenez-vous ? Une gamine qu'on manipule aisément et qui satisfait à tous les désirs de son supérieur au motif qu'il saurait mieux ce qu'il doit faire que les autres ? Vous vous êtes fichu de moi durant tout l'entretien...

– Tiens, c'est marrant !

– Quoi ?

– Tu m'as vouvoyé pour m'engueuler !

Souad fourre les mains dans les poches de son jean et ne desserre plus les dents avant d'être remontée dans la voiture.

Martin allume une cigarette et met le contact.

– Pas de gyrophare, cette fois ? ironise la jeune femme.

– Nous sommes moins pressés ; j'ai obtenu ce que je voulais. Et tu devrais me remercier : tu revendiquais ta place sur le terrain ; je te l'ai acquise !

– Mais pourquoi as-tu menti au juge en lui disant que c'est moi qui avais eu cette idée ? Je n'en vois pas l'intérêt.

– C'était le meilleur moyen de le convaincre. Ce type ne m'aime pas ; je le sens. C'est un prétentieux imbu de sa personne, qui doit estimer que ma réputation est surfaite. Je suis un Parisien qui déboule pour piétiner ses plates-bandes provinciales... L'idée serait venue de moi, il en aurait été vexé et n'y aurait pas souscrit ! D'une gamine, c'était différent...

– Tu sais, Martin...

– Oui ?

– Tu gagnes à être connu.

– Pourquoi ?

– Tu es un type rudement vicieux !

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