Dialogue nocturne

Nuit de mercredi.

Un léger toussotement réveille Alexandra. Un son familier... Celui que fait souvent Marie pour signifier sa présence quand elle pénètre dans une pièce de la maison.

Marie !

Alexandra est soudain prise de terreur. Marie est dans sa chambre ! Elle a osé revenir...

Alexandra la cherche des yeux, dans l'ombre. Elle distingue sa silhouette massive, debout au pied du lit, la dominant comme une geôlière. Depuis combien de temps la regarde-t-elle ainsi ? Et que lui veut-elle ?

Alexandra désire allumer sa lampe de chevet, mais s'aperçoit alors avec une angoisse qui lui broie la poitrine qu'elle a les bras entravés. Ses poignets sont liés aux montants du lit.

Un nouveau toussotement, immédiatement suivi de ce rire qu'Alexandra aimait tant et qu'elle exècre à présent. Ce rire angélique, limpide comme une eau pure, qui roulait dans la gorge de Marie, est devenu un ricanement guttural et hideux.

« Mon Dieu, elle m'a bernée durant toutes ces années ! Ce démon m'a trahie, me volant mes jambes, ma confiance et mon amitié ! »

– Je t'en prie, Marie, implore la jeune femme qui ne peut retenir ses larmes. Je t'en conjure, qui que tu sois, sors de ma vie et de celle de mon fille !

– Ton fille ? lance une voix hargneuse. Ton fille ?

« Même sa voix a changé ! La bête a ôté son masque et se présente telle qu'elle est en réalité. Une harpie ! »

– Oui, mon fille ! s'écrie Alexandra. C'est moi qui l'ai mis au monde, non ? Il est sorti de mon ventre ! Margot ne t'appartient pas...

– Pauvre petite Alexandra aveugle ! C'est bien la seule chose que tu aies faite pour lui : le pousser hors de toi ! Moi, j'ai fait davantage ! Je l'ai élevé, nourri, rassuré, accompagné... et aimé ! Ne me suis-je pas comportée comme une mère à son égard, tandis que tu le délaissais pour te consacrer à ta carrière ? Oui, Alexandra, tu soignais des enfants, c'est vrai. Mais ce n'étaient pas les tiens ! Quand tu rentrais, le soir, Margot t'embrassait comme il aurait embrassé une grande sœur... Moi, il m'enlaçait ! Moi, il m'écoutait lui raconter des histoires pour l'endormir ! Moi ! Moi... Pas toi, pauvre poupée aux jambes brisées ! Ton fille n'est pas le tien ! Tu l'as perdu le jour de sa naissance !

– C'est donc cela ! s'exclame Alexandra. Tu m'as manipulée pour accaparer Margot. C'était ton plan ? M'immobiliser, me droguer pour m'éloigner de lui ? Dans quel but ? Et pourquoi avoir attendu tout ce temps ?

– Tu ne pourrais pas comprendre... Le jour où je suis entrée dans ta chambre, à la maternité, ce n'était pas pour t'aider. J'avais été envoyée pour Margot ! Pour veiller sur lui. Je te le dis, Alexandra, tout cela te dépasse. Tu n'es qu'un rouage d'une extraordinaire machine. Un minuscule rivet d'une mécanique complexe. Rien d'autre qu'un ventre... dans lequel Margot s'est formé !

Alexandra tire sur ses liens, en vain. Elle tire cependant si fort que les cordes lui cisaillent la peau. Elle est certaine qu'à cette seconde précise elle recouvrerait l'usage de ses jambes si elle parvenait à se désentraver... Elle se jetterait sur cette ignoble créature pour l'étrangler et jouirait de sentir sa vie cesser de battre sous ses doigts.

Et sa véritable existence naîtrait à cet instant. Là, dans la mort de Marie.

« La mort de Marie... »

Elle se répète cette phrase en une sorte de litanie obsédante. « La mort de Marie... » L'écho de sa voix résonne en elle au plus profond de son sommeil. Car elle rêve. Elle s'en assure en rouvrant les yeux, en fouillant d'un regard apaisé la chambre vide, en bougeant ses mains qui ne sont pas encordées, en se hissant sur ses avant-bras pour se redresser et allumer la lampe de chevet.

« Marie est morte », pense-t-elle.

Et elle sourit, s'étonnant à peine d'éprouver une coupable satisfaction.

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