Florent abdique

Au QG, Seignolles prend Florent par les épaules et l'oblige à s'asseoir sur une chaise, si fortement que le jeune homme manque de basculer à la renverse. Pitoyable, dans son pantalon mal reboutonné, la ceinture pendante, la chemise sortie, Florent observe tour à tour les deux hommes de son regard de chien effrayé.

Martin allume une cigarette ; il a le visage fatigué, des cernes bleus sous les yeux, les joues plus creuses qu'à l'ordinaire. Il repense à Souad à demi nue, hébétée, misérable sous le corps de ce môme... Il la revoit allongée sur un brancard, emmaillotée dans une couverture en aluminium, chargée comme un cadavre dans l'ambulance du Samu. Il s'est senti tellement coupable, alors ! Responsable de son humiliation. Et il entend encore Seignolles l'accabler d'un flot de remontrances, et lui penaud sous l'averse, incapable de prononcer le moindre mot pour se disculper.

Florent tremble de tous ses membres, claque des dents, tressautant sur sa chaise, les poignets menottés dans le dos. Il émerge enfin de l'état comateux dans lequel il a sombré quand les deux enquêteurs l'ont surpris sur le quai.

– Je veux passer un coup de fil à un avocat..., dit-il d'une voix mal assurée.

– Tu as vu trop de séries à la télé ! rétorque Seignolles qui s'assoit face à lui sur une chaise retournée dont il utilise le dossier pour poser ses avant-bras. Nous ne sommes pas dans un film américain, bonhomme ! Je t'explique le topo : tu es devant un lieutenant de gendarmerie et un commandant de police qui t'ont pris en flagrant délit de tentative de viol... Et ça, c'est la vraie vie ! Ton petit cerveau de dégénéré imprime-t-il ce que je dis ?

– Je ne savais pas ce que je faisais, balbutie Florent. J'étais complètement parti...

Martin s'est approché par-derrière et pose ses mains sur les épaules de Florent qui tressaille sous leur pression.

– Je ne te cache pas que tu es dans de sales draps ! annonce Martin calmement.

– Je vous répète que j'étais stone !

Seignolles, ricanant :

– Justement, c'est tout le problème ! Tu sembles considérer que le fait d'avoir le cerveau cuit par l'acide t'exonère de tes responsabilités et tu te dis : la belle affaire, j'étais drogué ! Alors j'ai voulu me taper un lieutenant de police avant de la jeter dans la Garonne ! Il y a peu de chances pour que le juge se laisse amadouer par ta petite excuse !

Florent s'affaisse sur sa chaise. Il a cessé de trembler.

– C'est elle qui n'a pas arrêté de m'allumer ! J'ai cru que je lui plaisais ! Je pourrai toujours dire au juge qu'elle m'a fait fumer du shit sur le campus et qu'elle m'a appâté avec son histoire de labo... Des psychotropes, qu'elle fabrique ! Vous m'avez tendu un piège ! Gwen avait raison !

Seignolles se lève soudainement et repousse sa chaise. Florent a un mouvement de recul, croyant que ce dernier va le frapper. Mais le gendarme se contente de le fusiller du regard.

– Ce sera ton témoignage contre le sien. Et autant te prévenir que le tien ne pèsera pas lourd !

Martin, restant derrière le jeune homme, enchaîne :

– D'ailleurs, je dois te préciser quelque chose, Florent. Le lieutenant Souad Boukhrane ne t'a jamais incité à fumer ni ne t'a parlé d'un hypothétique labo dans lequel elle concocterait des drogues !

– Mais c'est faux ! s'offusque Florent qui se trémousse sur sa chaise, aussitôt retenu par Martin qui précise :

– Non, c'est la vérité, puisque c'est ce que je dirai au juge, ce qui sera confirmé par les lieutenants Seignolles et Boukhrane ! Tu n'as pas vraiment le choix ! Ou tu balances tout sur votre petit cénacle d'étudiants, ainsi que ce que tu sais sur Estelle et Cédric – en particulier, qui leur a fourni la daube –, ou bien tu te tais et tu écopes d'au moins sept ans incompressibles !

– Ce serait dommage, à ton âge ! enchaîne Seignolles. Tu perdrais une bonne partie de ta jeunesse.

Florent se tasse encore plus pesamment sur son siège, le menton sur la poitrine. Il demeure un long moment silencieux, les deux mains Martin lourdement posées sur ses épaules. Puis il se décide :

– C'est quoi, le tarif, si je crache le morceau ?

– Peut-être trois ans seulement, estime Seignolles. À condition que tu tombes sur un juge complaisant. C'est une option à tenter !

Florent abdique.

– C'est bon ! Je vais tout vous dire...

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