Leur dernier soir

Ils sont tous deux sur le balcon.

Dans la chambre, la valise et le sac de sport Martin sont bouclés et déposés au pied du lit. Demain matin il ne lui restera plus qu'à glisser ses affaires de toilette dans la poche extérieure du sac.

Ils sont assis côte à côte, leurs épaules se touchant à cause de l'exiguïté du lieu.

Ils boivent et fument. Cela fait plusieurs heures. Luc ne sait plus trop ; il n'a jamais avalé autant de whisky ni consommé autant de tabac. La tête lui tourne ; une sourde nausée l'a pris à la gorge et il s'attend à devoir aller vomir d'une seconde à l'autre.

Toulouse a adopté son grondement nocturne fait de voix qui s'interpellent, de voitures qui freinent trop brusquement aux feux rouges, de vrombissements de motos...

Ils n'éprouvent aucune honte à laisser couler de grosses larmes et à renifler comme des mômes. Ils parlent peu, n'ayant pas de mots plus beaux que leur silence pour exprimer leur chagrin.

S'ils prononcent quelques phrases décousues, c'est pour évoquer un souvenir commun. Rien que de banal. Ils se connaissaient tous trois depuis si peu de temps ! Tous trois, le Parisien, la petite et lui...

Martin consulte sa montre.

– Veux-tu que je te laisse ? demande Luc.

– J'ai encore un peu de temps. Elle m'a donné rendez-vous à onze heures...

– Tu vas lui faire tes adieux, n'est-ce pas ?

– Oui. Souad serait encore vivante, j'aurais quand même fait mes adieux à Alexandra. Je dois tourner cette page, Luc, tu comprends ?

– Bien sûr. Je crois même que tu as mis dix-sept ans à la tourner...

Ils se taisent à nouveau. Demeurent longuement sans bouger, s'écoutant pleurer.

Puis Martin se lève. Il titube un peu en se dirigeant vers la salle de bain pour se passer de l'eau fraîche sur le visage. Seignolles abandonne sa chaise, l'esprit gourd, la poitrine en feu.

– Je t'accompagne un bout de chemin, propose-t-il à Martin.

– Si tu veux... Mais jure-moi de ne pas me poser de questions.

– Au sujet du rapport ?

– En effet.

– Non, je t'ai promis de corroborer ta version des faits.

– Ce n'est pas la mienne.

– Je sais... Mais c'est toi qui la signeras en premier.

Ils sortent de la chambre. En refermant la porte, Martin sent le sol se dérober sous lui. Le solide bras de Seignolles l'empêche de tomber.

– Tu tiendras le coup ?

– Oui, Luc. Il faudra bien. Nous allons marcher un peu, l'air frais me retapera. Je récupère vite, tu sais... La force des alcooliques !

Dehors, Martin respire à pleins poumons en ouvrant les bras en croix. Yeux clos, il reste ainsi quelques secondes, puis, prenant l'épaule de Seignolles pour support, fait quelques pas d'abord hésitants que sa volonté corrige et raffermit bientôt.

– Si tu veux, commence Seignolles, j'ai ma voiture garée là-bas. Je te conduis ?

– Merci, mais on va marcher et je hélerai un taxi. Toi, tu cours chez toi prendre une bonne douche glacée et te coucher avec une tonne de somnifères.

Seignolles sourit.

– Non, je ne ferai rien de tout cela.

– Ah ? s'étonne Martin. Tu comptes picoler toute la nuit ?

– J'ai besoin d'autre chose qu'une douche glacée et des barbituriques. Je vais plutôt me rendre chez un certain Patrick qui est un type assez moche et maigrelet mais formidable... Une crème de douceur et de tendresse !

– Tu l'aimes ?

– Autant qu'il m'aime.

Martin, qui a laissé sa main sur l'épaule de son ami, exerce une pression plus forte des doigts pour souligner ce qu'il va dire :

– Vous vous aimez... Vous en avez, de la chance !

– Je te l'ai déjà dit, Martin, je suis un garçon simple.

– C'est bien ce que je disais : quelle chance !

Загрузка...