Maman et Marie sont parties à l'enterrement de cette fille trouvée morte dans la montagne dont on a parlé à la télé, ces derniers jours... Elles ne m'ont rien dit ; ce que j'ai appris, c'est en les espionnant, comme d'habitude, l'oreille collée à la porte de la serre. Car c'est là qu'elles se font leurs confidences. Cette pièce est devenue le cœur de la maison. Et j'en suis exclu, même si, lorsque j'y pénètre, elles font semblant de m'y admettre de bon cœur.
À chaque fois je devine cependant que je les dérange. Quand j'entre, maman et Marie interrompent soudain leur conversation et se tournent vers moi, se forçant à me sourire pour m'accueillir. Et me parlent comme si je n'étais qu'un môme de dix ans !
Pourquoi maman a-t-elle tant tenu à se rendre à cet enterrement où elle craignait de rencontrer l'autre ?
Là, je suis seul dans la maison. Cette maison qui vibre la nuit, qui geint et se lamente. Je suis seul et je pénètre dans la chambre de maman. En m'y prenant bien, en étant attentif, en m'appliquant, je peux fouiller dans ses affaires sans laisser de traces.
Ouvrir les tiroirs, déplacer délicatement les objets, chercher quelque chose de secret. Quelque chose que maman conserve pour elle seule... Une lettre ? Une photo ?
Soulever les piles de linge, jeter un coup d'œil au plus profond de la penderie, scruter l'armoire, plonger la main dans les poches des manteaux et des vestes...
Rien. Rien d'inhabituel. Des dessins que j'ai dû faire quand j'étais à l'école maternelle ; je m'étonne que maman les ait conservés. Des souvenirs dans une boîte en carton... Des photos de Marie et de moi. De maman sur une plage, moi assis dans son fauteuil et riant à l'objectif. Des photos de cousins... Et d'un jeune homme que je ne connais pas. Que je n'ai jamais vu !
Et si le secret que je traque ne résidait que dans cette anodine photo ? Celle de ce grand gars de vingt ou vingt-cinq ans, mince, au visage un peu osseux ?
Il pose dos contre un mur de briques. Impossible d'identifier le lieu. Il regarde droit devant lui... Était-ce maman, derrière l'appareil ?
Après tout, ce n'était peut-être qu'un petit ami dont elle a conservé l'empreinte, là, dans une boîte où sont entassés en vrac des fragments de son passé.
Pourtant...
Pourtant, je me dis qu'on ne garde pas ainsi la photographie d'un banal amour de jeunesse, parmi des photos de famille et des dessins de sa fille. Je retourne la photo.
Au dos ne sont inscrits qu'un nom et une date :
Martin 1994
C'est bien l'écriture de maman.