Le comportement de Marie

Il règne désormais une désagréable tension dans la maison. Maman et Marie, qui étaient les meilleures amies du monde jusqu'à ce que nous emménagions à Toulouse, s'opposent maintenant, se heurtant de plus en plus frontalement.

C'est Marie qui me paraît la plus nerveuse. Elle est devenue irascible, acariâtre, souvent revêche, hantant chaque pièce de son pas lourd, surgissant sans prévenir pour vous surprendre en roulant les yeux, lèvres serrées, narines frissonnantes.

Elle me fait penser à un animal en cage qui tourne et retourne sur lui-même, frustré de ne pouvoir laisser s'exprimer son instinct et sa véritable nature. Elle est là, prête à bondir. Mais sur quoi ? sur qui ?

Elle ne cesse de m'épier, j'en ai la conviction. Je l'ai surprise à plusieurs reprises en train de me regarder depuis un recoin, derrière une porte, à une fenêtre... Et, à chaque fois, j'ai détesté son œil sournois de tortue !

Quand maman est rentrée, tout à l'heure, elle a aussitôt allumé la télévision pour regarder le Journal. La découverte du corps de son supérieur, le professeur Vals, les lèvres cousues avec du fil doré, a un retentissement national dans la continuité de l'affaire des disparus ; elle est traitée en priorité par le présentateur.

J'observe Marie, pâle comme une morte, son regard halluciné braqué sur le petit écran. Elle se tient dans l'encadrement de la porte du salon. Je me demande pourquoi cette information la met dans un état pareil...

Ce premier titre ayant été développé, maman fait pivoter son fauteuil et me lance un malheureux petit sourire de rien du tout, puis se dirige vers sa chambre.

– Je dois te masser les jambes, lui dit Marie. C'est au moins le huitième soir que tu refuses mes soins. Tes muscles vont s'atrophier et il nous faudra beaucoup de temps pour leur redonner de la fermeté.

– La belle affaire ! lui jette maman. Prépare plutôt le repas, tandis que je fais ma toilette et me change. Je souhaiterais me coucher de bonne heure ; je suis de garde, la nuit prochaine. Les Sorbiers sont devenus un véritable enfer ; nous sommes assaillis par les journalistes et nous ne savons plus où donner de la tête... De plus, les disparus sont quasiment tous mourants. De misérables zombies drogués jusqu'à la moelle !

Maman s'enferme dans sa chambre et je propose à Marie de l'aider à la cuisine.

– C'est inutile, me répond-elle assez sèchement. Monte plutôt prendre ta douche et réviser tes leçons ; je ne te vois jamais travailler ! Je t'appellerai quand le dîner sera prêt.

– Comme tu voudras.

Je tourne les talons. Cependant, retenu par je ne sais quelle intuition, je reste dans le vestibule, en retrait, invisible à Marie que j'entends bientôt farfouiller dans la cuisine : heurts des casseroles, ouverture de la porte du frigo, eau jaillissant du robinet...

Puis un silence. Et la voix de Marie qui murmure. Je m'aperçois alors qu'elle téléphone sur son portable. Je tends l'oreille... projette les antennes de mon esprit dans sa direction... Marie chuchote :

– Oui... Elle m'interdit de la masser... Oui, oui... Je sais... L'enfant ? Je crois qu'il ne se doute de rien... Il n'y a aucune raison pour qu'il découvre quoi que ce soit... Oui... Je comprends votre inquiétude... Je vais tenter de reprendre la situation en main... Je fais mon possible...

Le silence à nouveau. Marie a dû raccrocher. Et les bruits de cuisine reviennent.

Je donnerais cher pour connaître l'identité de l'interlocuteur de Marie. Et apprendre ce que je dois ignorer !

J'ai néanmoins découvert une chose primordiale : Marie, la douce et affectueuse Marie, la fée venue se nicher entre maman et moi, avec son bon visage poupin, ses joues roses, sa poitrine de matrone, Marie n'est rien d'autre qu'une sorcière.

Et mon adversaire !

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