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Lundi 2 décembre 2013


Alexandre Jacob avait l’impression d’avoir passé la pire journée de sa vie.

Au beau milieu de la nuit, il était assis dans son bureau, seul, la porte fermée. Il était solide et savait encaisser. Mais cette fois, la lumière agressive du néon lui tapait sur le système. Il ne la supportait plus. Un cauchemar éveillé, voilà ce qu’il vivait depuis des jours. Le plus catastrophique des scénarios était en train de se mettre en place, et si d’ici quelques heures les ultimes résultats du spectromètre de masse confirmaient ce qui se profilait de plus en plus comme une évidence, alors…

C’était impensable, et même son esprit cartésien, habitué aux alertes sanitaires, ne parvenait pas à concevoir ce qui risquait de se passer. Depuis des dizaines d’années, les menaces de bioterrorisme étaient bien réelles mais n’avaient jamais atteint cette envergure. Il était question de centaines de milliers de vies, peut-être des millions.

Ses yeux hagards, vides de toute lumière, se portèrent sur l’e-mail qui arriva dans sa messagerie électronique. Il provenait de la direction de la police judiciaire et avait pour intitulé « Affaire grippe des oiseaux : profil des deux principaux suspects ». Il était suivi d’un point d’exclamation rouge, noté comme urgent. Jacob reçut dans la même minute un SMS l’invitant à lire ses e-mails. Il était 1 h 25.

Jacob prit connaissance du message qui lui demandait de se connecter avec un compte que lui avait fourni Lamordier, dans un espace sécurisé sur l’extranet du serveur de la police judiciaire, là où il avait déjà déposé les photos du laboratoire clandestin. Ce qu’il fit.

Il eut alors accès à divers documents, dont ceux établis par Jacques Levallois et le lieutenant Franck Sharko, ce flic à l’air rude et cabossé qu’il avait déjà croisé à plusieurs reprises. Dans le calme de son bureau encombré de la paperasse de ces derniers jours, et malgré la fatigue physique et morale, il se concentra sur la fiche de Levallois, puis sur celle de Sharko.

Dès lors, les variations lumineuses qui frappaient ses rétines et venaient se compartimenter dans le cortex visuel de son cerveau réveillèrent d’autres zones liées à la mémoire, aux émotions et à l’analyse. Dans sa tête, des signaux induits par sa lecture de la seconde fiche — celle concernant l’Homme en noir — s’allumèrent les uns après les autres, comme des balises accueillant un bateau rentrant au port.

Alexandre Jacob porta une main à son front quand le cortex visuel généra une image, ou plus précisément un portrait qui explosa derrière ses rétines.

Il relut plusieurs fois le rapport pour s’assurer qu’il ne faisait pas fausse route. Les Nègres, l’Afrique, les empoisonnements, les idées de sélection, de nettoyage, d’eugénisme… Les policiers recherchaient un monstre qui avait beaucoup voyagé, un génie du Mal, un individu qui n’exprimait aucun scrupule à tuer, à corrompre, à anéantir.

Ça pouvait être lui.

Le chef du Groupement d’intervention microbiologique mit quelques secondes à réaliser puis, d’une main tremblante, décrocha son téléphone.

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