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En attendant Sharko, Nicolas Bellanger raccompagna Camille jusqu’au bas du 36.

— Je risque de rentrer très tard. Tu t’enfermes, tu ne réponds à personne.

La jeune femme l’observa avec gravité.

— Tu ne veux toujours pas me dire pourquoi ?

— Je te raconterai, OK ? Fais-moi confiance.

— Tu feras très attention. Je n’aime pas quand tu pars comme ça.

Nicolas embrassa sa compagne et la regarda s’éloigner le long du Palais de justice. Son cœur battait si vite chaque fois qu’ils se séparaient…

Une demi-heure plus tard, Sharko l’avait rejoint, ainsi que deux collègues de l’équipe antiterroriste, dont Marnier, le nouveau chef par circonstances forcées. Les quatre hommes se mirent en route dans deux voitures séparées.

— Qui est-ce ?

Nicolas suivait le premier véhicule.

— On n’en sait encore rien. C’est un collègue du commissariat de Bobigny qui a identifié le portrait diffusé par Sarbacane. Il croise notre homme régulièrement à un club de fitness de Pantin, le Wellform, aux horaires du soir, vers 20 heures, 21 heures. Il l’a formellement reconnu. On file au club, on récupère son identité dans un premier temps.

Sharko regarda sa montre. Pas loin de 19 heures.

— Une chance qu’il y soit ce soir ?

— Bien possible. On est jeudi, et ça fait partie des jours et des horaires où le collègue va s’entraîner. On lui a demandé de ne pas venir ce soir, afin que son comportement n’éveille pas les soupçons.

Les deux hommes étaient tendus. L’excitation crépitait dans l’habitacle de la 306.

— Au fait, on a reçu la liste des égoutiers et du personnel qui descend là-dessous. Vu l’état actuel de nos effectifs, je ne sais pas quoi faire de cette liste. J’ai informé Lamordier qu’on avait besoin de monde pour l’analyser. Je l’ai également mise entre les mains de Camille, elle peut faire des recherches et passer des coups de fil depuis son bureau.

— Parfait.

Le capitaine de police s’engagea sur un long boulevard.

— On a eu un sacré bol avec notre semeur de virus et la diffusion du portrait, hein ?

— Pour une fois… Mais ça n’arrêtera pas le microbe. Ce salopard qu’on traque a bien réussi son coup.

— C’est dingue, ces virus. Tu les verses dans un bac de couverts à Paris et… t’as des gens qui n’ont jamais fichu les pieds dans la capitale qui tombent malades quelques jours plus tard. C’est une arme redoutable. Une arme qu’on ne voit pas, qui se multiplie toute seule et qui, comme disait Camille, ne sonne pas aux détecteurs des aéroports.

— Alors qu’on nous emmerde chaque fois qu’on veut passer une bouteille d’eau.

Ils se plongèrent dans leurs réflexions et atteignirent Pantin une demi-heure plus tard. Un ensemble de barres grises, de rues étroites, d’enseignes de boutiques collées les unes aux autres. Le club de sport se trouvait au bord du canal de l’Ourcq, à proximité d’une base nautique et d’une piste cyclable qui longeait les quais. L’onde palpitait avec langueur sur les reflets de la pleine lune. Sur la droite, il y avait des bâtiments désaffectés, couverts de tags, à l’allure de vaisseaux spatiaux multicolores.

Les deux voitures se garèrent côte à côte sur le parking, de façon à bien voir l’entrée du bâtiment à deux étages, et dont les vitres étaient embuées. En bas, musculation, fitness. En haut, des gens alignés par dizaines pédalaient, ramaient, couraient.

Les hommes de l’équipe antiterroriste sortirent et claquèrent doucement leurs portières. Marnier et son lieutenant David Renart étaient habillés en civil : jean, Converse, blouson de cuir. Ils avaient un sac de sport à la main, histoire de se fondre dans la masse.

— On va entrer comme des clients normaux. Vous restez dans le véhicule pour surveiller les issues. S’il entre ou sort, on s’appelle. Vos portables sont OK ?

Vérification, hochements de tête. Marnier cacha la photo du type sous son blouson.

— Parfait. S’il est là ou si on apprend qu’il a des chances de se pointer, on lui tombe dessus. Au pire, on récupère son identité et son adresse auprès du gérant, et on l’interpellera avec des renforts.

Les deux hommes entrèrent dans le club à quelques secondes d’écart. Régulièrement, des sportifs circulaient, arrivaient ou repartaient. Ça bougeait pas mal. Dans la voiture, Nicolas avait sorti son Sig Sauer de son holster et l’avait posé sur ses genoux. Il était très nerveux, tirait sur sa cigarette électronique comme un sapeur. Sharko fixait le rétroviseur, les mains crispées sur ses cuisses. Lui aussi avait la gorge nouée. Toutes ses pensées étaient orientées vers cet agrandissement A4 qu’il avait posé entre Nicolas et lui. Ce visage, ce démon, qui allait être responsable de milliers, de millions peut-être, de malades.

Le temps passait. Toujours pas de nouvelles.

— Qu’est-ce qu’ils foutent ?

— Peut-être qu’ils savent que notre homme va arriver ? Qu’ils planquent à l’intérieur ?

— Pourquoi ils ne nous appellent pas ?

Nicolas sursauta lorsque son téléphone vibra sur le plastique du tableau de bord. Mais c’était juste Camille qui venait aux nouvelles. Le capitaine décrocha et se mit à converser sans dévoiler la mission, tandis qu’une silhouette, casquette noire sur la tête, baskets aux pieds, passait à proximité de la voiture et traçait son chemin vers la porte d’entrée du club. Sharko plissa les yeux. Il se pencha vers Nicolas pour essayer de voir le profil de l’individu.

Juste devant l’entrée, la silhouette se tourna dans leur direction. Sharko put entrapercevoir la pointe du nez sous l’ombre de la casquette.

Une fraction de seconde plus tard, l’homme bifurqua sur la droite et se mit à courir.

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