C’était bientôt l’heure.
Les flics n’avaient voulu prendre aucun risque. Alors, les cinq officiers de police judiciaire — Casu, Sharko, Bellanger et les deux collègues de l’Antiterrorisme — étaient retournés avec Jacky Dambre à son domicile, afin d’utiliser l’ordinateur du hacker et sa connexion Internet pour entrer en contact avec l’Homme en noir.
Nicolas était venu. Il était assis sur une chaise, face au clavier, concentré comme jamais. Visage fermé, yeux gonflés, tendu à bloc. La journée avait été un enfer, mais il n’avait pas lâché, animé par l’espoir de ce rendez-vous. Il allait certainement discuter avec celui qui avait la vie de Camille entre ses mains. Le monstre qui avait le pouvoir de vie ou de mort sur la jeune femme.
Comme la première fois, Sharko était à ses côtés, avec Dambre juste derrière.
À 21 h 05, il n’y avait toujours rien. Les nerfs crépitaient dans la pièce, les respirations se faisaient bruyantes. Personne ne parlait. Le hacker se leva soudain et se jeta sur le bureau. Il écrasa ses mains menottées sur le clavier, tentant de taper quelque chose sur la fenêtre ouverte de Dark.Cover.
Sharko le tira violemment vers l’arrière.
— Oh ! Qu’est-ce que t’essaies de faire ?
Dambre retrouva sa place. Marnier l’aida à se rassoir et l’éloigna un peu plus vers l’arrière. Heureusement, sa tentative avait échoué, la fenêtre Dark.Cover restait vierge de tout propos. Nicolas ne tenait plus en place.
— L’Homme en noir va nous faire faux bond. D’une manière ou d’une autre, il sait.
— Il ne peut pas savoir.
Sharko essayait de capter quelque chose dans le regard de Dambre, mais il n’y lut qu’une forme d’arrogance qu’il ne comprenait pas.
— Arrête avec ton air à la con, ou je te colle mon poing dans la gueule.
Dambre ne cilla pas. À 21 h 09, le pseudonyme « Homme en noir » apparut enfin dans la fenêtre de Dark.Cover. Les quatre policiers présents échangèrent un rapide regard. Nicolas se rapprocha du clavier. Le poisson était ferré.
Homme en noir > Merci d’être là.
— Je suis impatient, lâcha CrackJack entre ses dents serrées, tandis que le collègue de Marnier lui pressait fermement l’épaule.
CrackJack > Je suis impatient.
Homme en noir > Désolé pour le retard, mais cette journée a été chargée.
CrackJack > Tant que vous êtes au rendez-vous.
Homme en noir > Nous allons poursuivre le Grand Projet.
Nicolas se tourna vers CrackJack.
— Le Grand Projet, tu connais ?
— Non.
Le flic regarda ses collègues.
— On l’a interrogé là-dessus, on pense qu’il ne connaît pas, confirma Marnier.
Nicolas revint au clavier. Il prit l’initiative de noter lui-même la phrase suivante :
CrackJack > Le Grand Projet ?
Homme en noir > Ce dont j’aimerais te parler ce soir même, oui.
CrackJack > Comment on fait ?
Homme en noir > La première fois, tu m’as demandé de déposer le virus en forêt de Saint-Germain. Je présume que tu habites dans la région parisienne.
CrackJack > Vous présumez bien.
Homme en noir > 49°3’49.98 N, 2°11’52.00 E. Sur place, pense aux ténèbres, tu sauras où aller. Je t’y attends dans deux heures. Ne sois pas en retard. Donne-moi un chiffre entre 1 et 10.
CrackJack > 5.
Homme en noir > 5 petits Nègres patientaient sur le banc du parc. L’un d’eux fuma une cigarette. Il n’en resta plus que 4.
Fin de connexion, déjà. Les flics soupirèrent presque à l’unisson. Nicolas utilisa la fonction GPS de son téléphone. La carte s’afficha.
— Ces coordonnées nous mènent à proximité de Méry-sur-Oise, au nord de Paris, à environ quarante minutes d’ici.
Renart consultait son propre écran.
— Au beau milieu d’une forêt. Pas une route, rien pour y accéder.
Sharko se tourna vers le hacker.
— Ça te dit quelque chose ?
Dambre secoua la tête. Nicolas fixa Marnier et Renart.
— Faut qu’on prenne une décision. Qu’est-ce qu’on fait ?
— Je préviens les équipes d’intervention, dit Marnier. Elles attendent mon coup de fil.
— Elles devront rester à proximité des routes et n’intervenir qu’au signal. L’Homme en noir sera extrêmement prudent, il va surveiller, peut-être même faire surveiller.
— On a lu les dossiers, on sait de quoi il retourne.
— Il a choisi cet endroit, ce n’est pas pour rien. S’il se doute de quelque chose, il va nous échapper. On ne peut pas se le permettre.
Le capitaine de police allait et venait, les yeux rivés au sol.
— Faut suivre les règles qu’il impose. Il est trop malin, c’est trop simple. Il y a peut-être un loup.
Nicolas saisit une infime lueur dans le regard de Dambre. Il l’agrippa par le col et l’arracha de sa chaise.
— Qu’est-ce que tu nous caches ?
— Je vous ai tout dit.
Nicolas le repoussa avec force.
— Je vais aller au point de rendez-vous. Je vais m’y coller. Suivre la procédure qu’il impose.
— Non, moi, répliqua Sharko. Il connaît sans doute ton visage, il…
— Tu pues le flic à vingt bornes. T’as tout sauf l’allure d’un hacker.
— Parce que tu trouves que ce connard a une allure ?
— Il fera noir, je vais mettre une veste avec une capuche. (Il hocha le menton vers Dambre.) C’est ce qu’il aurait fait, lui. On va communiquer, on sera ensemble.
Marnier fixa son collègue, puis Sharko.
— Je sais ce que vous pensez, mais j’ai la tête sur les épaules, je connais les enjeux, insista Nicolas. Ma compagne est entre les mains de ces hommes. Vous croyez que j’ai envie que l’opération foire ? On baigne dans le jus, on connaît nos adversaires, et on n’a pas le temps de préparer quelqu’un d’autre.
Marnier se passa la main sur le menton.
— Très bien. Mais on te suivra dans la forêt, on sera derrière toi. Je ne veux prendre aucun risque, et surtout pas celui qu’il s’échappe ou que tu te mettes à tirer sur tout ce qui bouge. Et on t’équipe. Gilet pare-balles, micro.
Le chef de l’Antiterrorisme empoigna Dambre avec fermeté.
— Allez, on fonce.