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L’adresse Internet changea, et Sharko se rendit compte qu’elle correspondait aux coordonnées trouvées chez Muriez, mises bout à bout : 142384834E11234043N.dkw. Ainsi, l’Homme-oiseau avait accès à cette partie de la Chambre noire, « Mon laboratoire », mais pas aux autres : l’Homme en noir avait bridé son territoire d’exploration.

Sur l’écran s’affichaient des petites fenêtres de webcams. Des dizaines de carrés pixélisés et anonymes. Sharko cliqua sur l’une d’elles, découvrit une jeune femme noire, suspendue par les bras dans un endroit sombre. Le visage en sang. Inerte. On lui avait coupé les seins, et deux grandes entailles partaient de chaque côté de sa bouche pour former un sourire de l’ange. Une bulle de sang éclata entre ses lèvres.

Elle vivait.

Un colosse apparut dans le champ, habillé en bleu de travail, avec un grand tablier blanc passé autour de son cou. L’homme portait un masque de hockey et serrait une tenaille dans son poing. Il fixa l’objectif, se décala pour s’assurer qu’on voyait en totalité le corps de sa victime et approcha la pince du sexe. Sharko en eut l’estomac retourné, il ferma la fenêtre et se recula sur son siège, comme propulsé par la violence des images.

Les fenêtres des webcams étaient toutes animées. Elles l’invitaient à découvrir l’interdit, l’inimaginable, à briser toutes les frontières qui faisaient de lui un être humain.

Sharko cliqua sur une autre caméra. Un village au milieu de la jungle. Trois cadavres gonflés jonchant le sol, vraisemblablement frappés par un mal mortel. Une silhouette avec une casquette et des lunettes de soleil versa de l’essence sur une hutte en paille et y mit le feu. Et, tandis que le brasier ouvrait grand sa gueule, la caméra s’éteignit, l’écran devint noir.

Nouveau clic, nouvelle webcam… Des enfants au crâne rasé, plongés dans des espèces d’aquariums horizontaux, qui semblaient dormir dans du liquide au fond d’une salle immaculée, comme dans un hôpital. De petites bulles remontaient parfois des profondeurs de ces cuves. Combien étaient-ils ? Une dizaine ? Sharko songea aux technologies qu’il avait découvertes en Russie. Toutes ces machines étaient censées avoir été détruites. Et pourtant elles étaient là, juste en face de lui.

On peut détruire les machines, mais pas le savoir.

Là, un individu aux traits sud-américains, filmé dans une pièce qui ressemblait à une cave, attaché, mutilé, à demi conscient…

D’autres images : une chambre crasseuse, un violeur en action, un bas sur le visage, en train de s’acharner sur une victime aux traits asiatiques.

Sharko regarda d’autres horreurs, anéanti. Il avait devant lui la mise en images la plus crue des trois derniers cercles de l’enfer. Des êtres humains, tueurs en série, violeurs, pervers, organisateurs, médecins, savants fous, qui filmaient leurs actes. Qui les offraient, via la Chambre noire, à ceux qui voulaient bien voir. Et à leur maître à tous : l’Homme en noir.

Franck prit la photo de ses fils rangée dans son portefeuille, il caressa leur petite bouille du bout du pouce, les larmes aux yeux. Il était vraiment prêt à ouvrir les vannes, laisser se déverser sa peur et sa colère. Il se retint parce que Levallois entrait avec son café. Il rangea la photo et revint vers son écran. Il s’apprêtait à quitter cette page mais son regard tomba sur une webcam qui venait de s’allumer. Ses sens se mirent en alerte.

Il cliqua. Une chambre, un lit à une place, au milieu. Un mobilier réduit. Sur le lit, un vivarium noir de puces et un gros sac de sport ouvert.

— Viens, Jacques ! Viens vite !

Levallois accourut.

— Qu’est-ce… ?

— C’est lui. L’Homme-oiseau. Il a allumé une webcam et est en train de filmer.

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