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Vendredi 22 novembre 2013


Amandine Guérin observait une petite colonie de bactéries à Gram négatif — quelques centaines d’unités d’Escherichia coli — sous les lentilles d’un microscope à fort grossissement. Les organismes, colorés par le violet de gentiane, mesuraient à peine trois millionièmes de mètre et barbotaient dans leur solution nutritive. La microbiologiste se recula de la paillasse et laissa la place à son stagiaire.

— Tu vas voir, là, elles sont un peu stressées.

Elle devina que, derrière son masque respiratoire, Léo n’en menait pas large. Il approcha ses yeux bleus des oculaires. Dans cet environnement sécurisé, on manipulait des salmonelles, des staphylocoques, des listeria, que l’on sortait de congélateurs à -80 °C situés dans un coin du laboratoire : des bactéries rarement mortelles, mais à utiliser avec la plus grande précaution.

— C’est plutôt moi qui suis stressé.

— Au pire, elles te colleront une diarrhée de trois ou quatre jours. Dis-moi, quelles sont les causes de stress des bactéries ?

— Les changements de température, le froid, le chaud, les modifications de l’environnement d’un point de vue chimique… la pression, la luminosité.

— Et quelles stratégies développent-elles face au stress ?

— Elles vont consommer le moins possible d’énergie, se mettre en dormance ou se coller les unes aux autres. Certaines bactéries comme l’anthrax vont fabriquer des spores pour se protéger de l’environnement.

— Parfait. Quand…

Quelqu’un frappa avec vigueur sur l’unique paroi translucide du laboratoire sécurisé de type NSB2[1]. Amandine tourna la tête. C’était Alexandre Jacob, le chef du Groupement d’intervention microbiologique, le GIM. Elle lui fit signe d’entrer, mais il refusa. À l’évidence, il n’était pas d’humeur à enfiler une tenue. De ce fait, elle donna quelques consignes à son étudiant, abaissa son masque sur sa blouse, ôta ses gants et se lava les mains, frottant avec soin entre chaque doigt, insistant sur ses ongles coupés à ras. Elle sortit par le sas. Derrière elle, sur la porte, était accroché un panneau jaune et noir d’avertissement de danger microbiologique.

— On a une alerte sanitaire. Tu peux te mettre en route dans une demi-heure ?

— Je bossais sur mon sujet de recherche avec mon stagiaire, mais il n’y a pas de souci.

Ce jour-là, Amandine était d’astreinte microbiologique jusqu’à 17 heures. Elle devait être joignable en permanence et capable d’intervenir au plus vite n’importe où en France. Une espèce de GIGN du microbe, qui comportait quatre scientifiques chevronnés et mobiles parmi les douze employés du GIM.

— Parfait. J’ai reçu un appel de la préfecture du Nord. Tu fonces à la réserve ornithologique du Marquenterre, en Baie de Somme. Raison officielle de la fermeture du parc : problèmes de maintenance. L’IVE[2] demande une grande discrétion. Vous prendrez la voiture de Johan, il est déjà au courant. Protocole habituel.

— Très bien. Et la véritable raison de la fermeture du parc ?

Alexandre Jacob était habilité confidentiel défense et n’était pas le plus bavard du service.

— Dans une réserve pour oiseaux, qu’est-ce qu’on trouve, à ton avis ?

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