[42]

Sharko se retourna.

Le faisceau lumineux piégea durant une fraction de seconde une silhouette qui les observait.

Le flic eut le temps de voir la forme d’un long bec recourbé, avant que l’ombre disparaisse.

L’Homme-oiseau…

Sharko ôta son gant droit, brandit son arme et, courant comme une marionnette désarticulée, se précipita vers l’entrée.

— Arrêtez !

Il peina à s’extirper de la bouche étroite. La silhouette bifurquait dans une autre gorge, sautant au-dessus de l’eau avec agilité. Franck ne réfléchit plus, il fonça, manquant de s’étaler à plusieurs reprises. Ses semelles glissaient, il frôlait le flux liquide qui s’enfonçait dans l’obscurité. Il s’engagea dans l’autre souterrain aussi vite qu’il le put, sa lumière éclairant comme un phare, à cause du mouvement de balancier de ses bras.

Souffle court, flux d’oxygène. Il arracha son masque, suffocant. Pieds dans la merde. Il doubla une machine immobile, troll d’acier accroché à une gigantesque canalisation. Des chaînes rouillées pendaient, pareilles à des tentacules.

Lorsqu’il surgit dans une cavité plus grande, il n’entendit plus que le claquement lointain des pas. Des couloirs partaient dans différentes directions. Le flic tendit l’oreille, incapable de trouver l’origine des bruits. Il s’aventura dans l’un des couloirs, glissa sur une pente qui se terminait en cul-de-sac. Les mains sur les genoux, il reprit sa respiration.

— C’est pas vrai !

Il fit demi-tour, en rage. Lui aussi avait désormais vu l’oiseau. Ce type déguisé qui errait dans les égouts. Un locataire de l’obscurité. Est-ce qu’il les avait suivis ? Avait-il été au courant qu’ils allaient descendre ?

Le flic hésita sur le chemin à prendre. Il ne se rappelait plus vraiment. Dans le feu de l’action, il n’avait pas fait attention au trajet. Tout se ressemblait, les trous, les tunnels. Il s’engagea dans l’une des bouches, il ne reconnaissait rien.

Il rebroussa chemin, paniqué.

— Oh ! Je suis là ! Monsieur Chombeau !

Sa voix rebondissait de loin en loin et lui revenait en écho. Il essaya de retrouver son calme, son souffle, de se concentrer et d’agir avec méthode. Il appela à intervalles réguliers. Le silence l’encerclait, perturbé par le trot agité des rongeurs qui longeaient les murs. Clac, clac, clac, clac. De petits yeux noirs et ronds le fixaient. Sharko accéléra le pas, se remit à courir et cria.

La voix de son guide lui revint enfin.

— Continuez à appeler et ne bougez pas ! J’arrive !

Sharko s’exécuta, sur ses gardes. Les rats pouvaient surgir de n’importe où, il se sentait capable de hurler si l’une de ces sales bêtes l’effleurait. Trois minutes plus tard, les deux hommes étaient de nouveau réunis. Chombeau balayait le moindre recoin avec sa lampe.

— C’était quoi, ce délire ?

— L’homme que je recherche. Un type qui prend un malin plaisir à se déguiser en une espèce d’oiseau et qui erre dans ces tunnels.

— Merde…

— C’est le cas de le dire.

Ils retournèrent dans l’étroit boyau. Sharko posa un pied derrière l’autre pour éviter les deux ou trois rats morts. Il avait remis son masque, respirait par à-coups. L’odeur était devenue infecte.

Ils marchèrent sur une grosse grille sous laquelle passait de l’eau. Sharko pouvait presque se tenir droit, à présent. D’énormes poutrelles lui frôlaient le crâne ; des tuyaux métalliques arrachés et des morceaux d’acier déchiquetés pointaient comme des poignards.

Enfin, ils sortirent de la gorge intermédiaire pour atterrir dans une salle plus large.

Les deux hommes s’immobilisèrent, tandis que leurs lampes balayaient l’espace.

Leurs yeux s’écarquillèrent.

Загрузка...