Sharko s’était garé le long du quai Saint-Bernard, tout proche du QG de la Brigade fluviale.
Une fois à l’air libre, il respira un bon coup, comme pour se purger de tous les microbes qu’il aurait pu respirer dans les couloirs de la Brigade criminelle. Il n’en revenait toujours pas de cette histoire de grippe volontairement répandue, de virus informatique, de l’Homme en noir qui les avait dans le collimateur.
Les meurtriers évoluaient aussi vite que les technologies, ils s’adaptaient à leur monde, aux monstrueuses possibilités qu’il offrait. Sharko sentait ses poils se dresser chaque fois qu’il pensait à ce que lui avait raconté l’expert en informatique, à ce terrible fourre-tout où pouvaient se nicher les pires déviances, où les pervers, les hackers, les délinquants d’un nouveau type œuvraient dans l’ombre. Dire que n’importe quel quidam pouvait désormais y accéder ! Le Darknet était comme une nébuleuse qui grossissait et piégeait toujours plus de matière.
De surcroît, plus rien n’allait au 36 où l’ambiance était électrique. Les services étaient comme paralysés de l’intérieur, certains flics avaient peur, mais la plupart avaient la rage. Depuis quelques heures, on ne parlait plus que de cette affaire dans les couloirs, on essayait de s’informer, de comprendre. Les dossiers en cours n’avançaient plus.
Sharko s’aventura sur les pontons flottants qui menaient à un gros bloc monolithique blanc. Des Zodiac et une vedette rapide ballottaient sur l’onde, des combinaisons de plongée séchaient le long de gros câbles tendus sur le pont des bateaux. Les flics de la Fluviale vivaient littéralement sur l’eau. Des hommes capables de plonger, de sonder, de piloter toutes sortes de bateaux. La Seine regorgeait de trésors — cadavres, voitures, meubles — et était aussi une voie privilégiée pour tous les types de dérives.
L’officier qui avait accueilli le SDF venu signaler la disparition de deux de ses compagnons s’appelait Christian Tourbier. Comme il était parti en mission jusqu’au soir, enquêtant sur un trafic d’œuvres d’art transitant par les canaux, ce fut Jérémy Klansky, son collègue, qui accueillit Sharko.
Klansky était un colosse blond à la poigne ferme et à la peau des mains fripée, comme celle d’un chat sans poils. Il offrit un café au lieutenant, puis les deux hommes se rendirent au bord du fleuve, juste en face de la jonction entre la Seine et le canal Saint-Martin. Le quai de la Rapée, avec l’imposant Institut médico-légal dont Sharko était sorti voilà quelques heures, se trouvait juste en face.
Klansky désigna le pont Morland, qui marquait l’entrée du port de l’Arsenal.
— Le SDF qui est venu voir Christian squatte à proximité de l’écluse, juste là-bas, dans les renfoncements des locaux techniques de la ville ou sous les ponts.
Sharko observa plus précisément. Malgré la clarté du jour, l’endroit était plongé dans l’obscurité la plus totale, tant l’arche du pont était basse. Sur le dessus de l’édifice était inscrit, en lettres dorées : « CANAL SAINT-MARTIN PORT DE PLAISANCE DE PARIS ARSENAL ».
— C’est un endroit glauque à souhait, là-dessous, poursuivit le flic de la Fluviale. Le soleil n’y pénètre jamais, pas grand monde s’y aventure, hormis les SDF. De manière générale, les gens qui se promènent dans le coin sont des touristes égarés ou des sportifs courageux qui s’entraînent sur les quais. Allez jeter un œil, vous allez probablement le trouver. Christian m’a dit qu’il s’appelait Jasper, il a un vieux chien avec lui.
— Très bien.
— Vous voulez que je vous accompagne ? Le coin n’est pas très sûr et…
— Ça va aller.