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Le temps s’était arrêté devant la porte du laboratoire clandestin.

Les quatre policiers se regardaient les uns les autres, se demandant ce qui se passait. Incapables de croire les mots que la jeune scientifique avait prononcés. Appuyée contre le mur, Amandine allait mal. Elle fixait son pouce sous le latex du gant.

— Il est possible que… que ce laboratoire contienne la bactérie de la peste.

La peste, un mot effroyable jailli du fond des âges. Synonyme de mort et de terreur. Nicolas visualisa l’image des quatre cavaliers de l’Apocalypse, armés de leurs fléaux. Il pensa au « semeur de mort », venu répandre la maladie et anéantir le monde.

Les hommes commençaient à paniquer, à pâlir. L’un d’eux se frotta nerveusement les cheveux et alla cracher dans un coin. Claude Lamordier se passa une main sur le visage. Il n’était pas sûr de bien comprendre.

— Bon Dieu, vous êtes en train de nous dire que la peste, cette fameuse peste qui a tué des millions de personnes par le passé, est ici, derrière cette porte ?

Amandine répondit avec un temps de retard.

— Ce n’est qu’une supposition, je ne peux pas être catégorique. Des puces et des rats dans un tel environnement me font penser à la peste. Mais… C’est le pire des scénarios. Il peut être question d’autres maladies transmises par des rickettsies ou des bactéries parasites. Comme le typhus murin, la tularémie…

Elle vivait un véritable cauchemar de microbiologiste : se trouver peut-être confrontée au pire des microbes, celui qu’on confinait dans les laboratoires les plus sécurisés et inaccessibles du monde. Soudain, ses yeux s’agrandirent. Elle fixa les policiers avec effroi.

— Je repense d’un coup au masque vénitien, à la silhouette que j’ai aperçue cette nuit. C’était comme si… comme si l’individu portait les vêtements utilisés par les médecins au XIVe siècle pour se protéger de la grande épidémie de peste noire. Ils étaient vêtus de cette façon. On les appelait les « médecins bec ».

Aussi costaud qu’il soit, l’un des flics s’assit contre un mur.

— Où seraient les bactéries ? demanda Lamordier. Dans le congélateur ?

Amandine réfléchit. Elle suait à grosses gouttes.

— Oui, dans les poches sanguines. Mais aussi dans le sang de ces rats et dans le système digestif des puces. Toute la partie droite du laboratoire est peut-être contaminée par un microbe qui terrasse les rats.

Nicolas fixait la porte fermée comme si un monstre allait l’ouvrir et en jaillir. Il prit peur quand il vit le visage d’Amandine se décomposer. La jeune femme était au bord de la panique. On n’en était plus à analyser quelques bactéries de la peste dans un laboratoire ultra-sécurisé NSB3+ ou NSB4, derrière des combinaisons intégrales et des protocoles millimétrés. On parlait d’élevages de puces dans des vivariums, d’animaux porteurs de la terrible bactérie dans de simples cages derrière une porte fermée d’un cadenas. Elle essaya de se rassurer en se disant que, pour le moment, tout n’était que supposition. Pour une fois dans sa vie, elle espérait se tromper.

— Vous avez été mordue, fit Nicolas. Vous allez…

Amandine se passa la main sur le front. Elle tournait de l’œil.

— Je me sens mal. Donnez-moi un téléphone, j’appelle le GIM en urgence.

Nicolas lui tendit le sien, tandis que Lamordier sortait son portable.

— Il faut que j’envoie une équipe auprès du corps de Crémieux.

— Non. Personne n’approchera ce corps tant que l’un de nos experts n’aura pas indiqué la marche à suivre. Quel que soit le microbe qui est dans ce laboratoire, il tue. Il est invisible, et il peut être partout, y compris sur le cadavre. On ne doit prendre aucun risque et suivre les protocoles… (Amandine reprit son souffle.) Je crois qu’avec ce qui s’est passé autour de la grippe dans le restaurant du Palais de justice, vous voyez parfaitement de quoi je parle.

Elle peina à composer le numéro de téléphone, tant elle tremblait.

Yersinia pestis. La peste.

En attendant que Jacob décroche, elle les fixa du regard les uns après les autres et annonça :

— À partir de maintenant, plus personne ne bouge.

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