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Plan prépandémique phase 3.

Un virus grippal animal ou hybride animal-humain provoque des infections sporadiques ou de petits foyers chez des humains, sans transmission interhumaine.

La sentence résonnait encore aux oreilles d’Amandine. D’après Jacob, l’OMS parlait déjà d’accroître le niveau d’alerte, de le monter au niveau 3. La décision serait prise dans les heures à venir.

Le cas Buisson n’était plus isolé, il avait un petit frère.

Le virus avait été détecté dans le laboratoire de virologie de l’hôpital Lariboisière. Un patient avait débarqué aux urgences pour un syndrome grippal aggravé par son asthme. Difficultés à respirer, 40 de fièvre, on l’avait hospitalisé, on avait fait des analyses. Sur place, le laboratoire ne parvenait pas à déterminer le sous-type de grippe. Sensibilisé à ce genre d’alerte depuis la pandémie de 2009, le responsable des analyses avait transmis l’échantillon au CNR de Pasteur-Paris, par porteur spécial et en prioritaire. Là-bas aussi, comme pour les oiseaux et Buisson, le virus passait à travers les tests d’identification et ne correspondait à aucun virus grippal connu.

Suite à cette découverte, la cellule interministérielle de crise (la CIC) avait été activée et on déroulait les phases du plan prépandémie grippe. Mission prioritaire : il fallait freiner le virus. La course était engagée mais encore aisément gérable. Deux cas, sans dispersion du virus à la population avoisinante, ça pouvait se maîtriser. Et puis, pour qu’une épidémie puisse se développer, il fallait plusieurs conditions réunies, une bonne combinaison entre le délai d’incubation, la période de contagion, un virus particulièrement agressif. Tous les chercheurs étaient au front, le nez rivé à leurs éprouvettes.

— Ces oiseaux disposés en cercles concentriques, tu crois que c’est une forme d’acte terroriste ? demanda Amandine.

— Je n’ai pas l’impression. Je ne suis pas un spécialiste du bioterrorisme, mais un terroriste aurait plutôt fait dans la revendication, non ? Que signifie ce symbole ? Et puis, pourquoi la grippe ? Pourquoi pas la variole ou la peste ?

— La peste, ce n’est certainement pas le genre de microbe qu’on sort facilement des laboratoires.

— Toujours est-il que c’est un acte grave, malveillant. Et que les sonnettes d’alarme doivent sonner partout chez les politiques et les hauts responsables. Je ne sais pas comment ils vont gérer ce truc-là, mais ça risque d’être compliqué, de faire du bruit, et pas qu’en France.

Amandine n’arrivait plus à décrocher de ses pensées noires.

— Imagine, tu déposes des oiseaux contaminés, chargés à bloc de particules virales sur cette maudite île, et tu laisses la nature agir. Les cadavres contaminent d’autres oiseaux qui se dispersent partout, sur des milliers de kilomètres, qui répandent des particules virales dans chaque plan d’eau, qui infectent d’autres volatiles…

La voiture arriva sur le parking de l’hôpital. Amandine sortit la première et se dirigea vers le coffre.

— Tu te rappelles, le coup de la myxomatose ?

— À moitié. Rafraîchis-moi la mémoire.

— 1951… Le professeur Delille est exaspéré par l’invasion de lapins sur les deux cents hectares de la propriété de son château de Maillebois. Pourtant la propriété est close, le professeur vérifie le grillage plusieurs fois par semaine. À bout de nerfs, il fait venir d’un laboratoire suisse via l’Institut Pasteur une souche virulente de la myxomatose qui sévit en Australie et l’injecte à deux lapins. Un mois plus tard, les lapins de la région sont décimés et, trois ans plus tard, 90 % des lapins sauvages mais aussi d’élevage de France sont morts. Toute l’Europe, qui n’avait jamais connu la maladie, est atteinte. Et comment est sortie la maladie du parc clos de Maillebois, à ton avis ?

— Par les oiseaux ?

— Les oiseaux, oui, on le suppose… Qui viennent par exemple picorer un cadavre de lapin contaminé, transportant alors les particules virales avec eux, et les transmettant par conséquent à d’autres lapins. Et si, ici, les oiseaux transmettaient notre grippe H1N1 inconnue à l’humain de la même façon ? Certes, la contamination ne serait pas immédiate, mais elle finirait tôt ou tard par se faire. Un chasseur qui tue un canard infecté, qui le plume, et le voilà qui inhale le virus. Un oiseau migrateur qui meurt à proximité d’un élevage industriel et propage le virus… De la viande mal cuite… Un animal malade qui pond un œuf que quelqu’un mange par la suite… Les probabilités font que ça VA arriver, Johan. Où et quand, impossible de le savoir.

— Dans le plus pessimiste des scénarios, oui. Mais on doit rester optimistes et continuer à bosser au mieux. On est là pour empêcher que ce genre de catastrophe arrive.

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